Mme Juliana Diallo, romancière :« Nous avons une vie littéraire endormie en Guinée ».

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Le 30 novembre 2012 dernier, nous l’avons rencontré Mme Juliana Diallo, pour parler de ses œuvres romanesques et de la littérature guinéenne dans son ensemble.

Mme Juliana Diallo est hongroise et guinéenne. Elle est née dans la petite ville hongroise de Berettyóújfalu en 1961. Elle a grandi à Debrecen, une ville qu’elle a quittée à l’âge de 18 ans pour poursuivre ses études universitaires à Leningrad (ex URSS). C’est là qu’elle a rencontré son mari originaire de Guinée.

Juliana Diallo a aussi obtenu un diplôme de spécialiste en psychologie du travail à l’université technique de Budapest en 1988 et un doctorat en psychologie sociale et du travail à l’université Eötvös Loránt de Budapest en 1989.

Mme Diallo vit en Guinée depuis 1991. Spécialisée en planification et en management, elle est actuellement Directrice Adjointe du Projet Faisons Ensemble. Elle est mère de quatre enfants. Elle a à son actif deux romans « Néné Salé » (Editions Harmattan, 2008) et « Entrée dans la Tribu » (Harmattan, 2010).

GuineeDirect/La Source :Bonjour Mme Juliana Diallo, vous vous êtes fait connaître du public guinéen avec la sortie de votre premier roman autobiographique « Néné Salé ». Avant d’aborder celui-ci, pouvez-vous nous parler de votre deuxième roman « Entrée dans la tribu » ?

 

Mme Juilana Diallo : Je suis guinéenne qui écrit. Je me considère comme une romancière. Mon deuxième roman « Entrée dans la tribu » est paru chez l’Harmattan en version française en 2010. En effet, j’ai écrit ce deuxième livre en hongrois, ma langue maternelle. Il est paru en Hongrie en juillet 2010, lors du Salon du Livre de Budapest. J’ai eu l’opportunité de le présenter à mes compatriotes et ce livre a connu un modeste succès là-bas. Ça m’a donné l’opportunité de parler de la Guinée, à travers les médias en Hongrois. A travers ce livre, les lecteurs ont pu découvrir la vie d’un petit village perdu dans Boké. Je suis fière de ce partage, parce que mes compatriotes en Europe ont très peu d’informations fiables et authentiques sur l’Afrique. Ce qu’on voit dans les médias, c’est souvent les désastres naturels, les guerres, les conflits et les problèmes politiques. Et ça donne une image faussée sur les réalités de l’Afrique. Malheureusement dans les médias on ne montre pas les valeurs de la vie africaine qui rime à l’effet de la vie communautaire. Une vie certainement beaucoup plus sereine et simple qu’en Europe. Une vie pleine de valeurs de solidarité, d’entraide et de simplicité dont le monde moderne a besoin. J’ai voulu montrer cet aspect de l’Afrique à travers ma perception et à travers mes yeux, qui sont ceux d’un étranger quand même qui est venue vivre ici en Guinée.

Quelle est la part de la psychologue que vous êtes dans la rédaction de vos romans ?

Ma formation de psychologue m’est utile, dans le sens que je suis plus consciente du vécu et je suis plus attentive, encouragée à aller vers les autres, pour comprendre et cerner ce qui se passe autour de moi. En effet, je dois avouer que j’ai beaucoup appris à travers l’expérience du milieu africain du village, notamment en ce qui concerne les relations sociales. Les relations de familles sont très fortes ici et la résolution des problèmes de familles et de tensions humaines se font de manière plus naturelle. En Occident, on fait appel à des experts, on fait recours à des spécialistes s’il y a des problèmes humains. Par exemple, si l’enfant a des problèmes d’adaptation ou de réussite à l’école, on va voir le psychologue scolaire. Même pour faire le deuil, souvent on fait recourir à un psychologue. Alors, ici, en Afrique, heureusement on n’est pas encore à ce stade d’institutionnaliser la résolution des problèmes sociaux. Quand il y a un problème, c’est tout la famille qui se retrouve pour trouver des solutions raisonnables et sages qui conviennent aux uns et aux autres. La psychologie moderne devrait puiser beaucoup plus dans ces pratiques très ancienne et naturelles, pour considérer plus la force qui est dans la vie sociale.

Maintenant parlons de votre premier roman « Néné Salé ».C’est votre histoire personnelle que vous avez romancé, non ?

C’est un roman autobiographique ! C’est un livre qui raconte mon expérience à l’hôpital Donka, après la naissance prématurée de mon dernier enfant, à l’Institut national de Santé et de Nutrition pour l’Enfant (INSE). Je raconte comment j’ai vécu, ce moment déchirant d’avoir un bébé entre la vie et la mort, dans les conditions très difficiles des hôpitaux publics guinéens. Il décrit cette situation très délicate avec mon engagement de tout faire pour sauver ma fille et à la fois la Guinée des conditions déplorables dans les hôpitaux. C’est une histoire d’amour maternel pour sauver la vie de mon enfant et montrer aussi l’amour de la famille qui m’a beaucoup aidée pour réussir ce challenge. D’ailleurs, quelques semaines après la sortie de ce livre, j’ai fait un don à l’INSE. Bien sûr, ce don était symbolique, mais je tenais à le faire à l’INSE qui, malgré les grandes difficultés dans les conditions de soin, fait de son mieux pour soigner les enfants prématurés.

Revenons à la littérature guinéenne. Ces derniers temps, il y a eu une éclosion littéraire dans le pays avec l’arrivée de nouveaux romanciers. Qu’en dites-vous ?

C’est vrai qu’il y a eu une éclosion littéraire en Guinée. D’un côté, il y a de jeunes poètes, romanciers essaient de percer et se faire connaître sur la scène littéraire guinéenne. Mais de l’autre côté, où est cette vie littéraire guinéenne ? On doit déplorer le manque de créneaux et le manque d’espace culturel. On peut compter du bout des doigts les opportunités offertes aux lecteurs, aux écrivains et aux poètes de se rencontrer. A part les 72 heures du Livres et quelques signatures parrainés par le Centre Culturel Franco-Guinéen, ces occasions sont pratiquement très, très rares. Pour avoir une vie culturelle littéraire effervescente et attirante pour les jeunes, il faut créer ces opportunités à différents niveaux, et dans les médias et au niveau des universités et pourquoi pas dans les quartiers. Il faut créer cet engouement pour la lecture aussi à travers des librairies qui, pratiquement, n’existent pas en Guinée, non seulement dans la capitale encore moins dans les capitales régionales. Toutes ces difficultés font qu’on a une vie littéraire endormie. On a des jeunes qui s’épanouissent et qui ont leurs mots à dire, leurs vécus à partager mais leurs tentatives restent dans le silence et passent presque inaperçues.

Quels messages avez-vous envers ces jeunes qui se lancent dans l’écriture, malgré toutes les difficultés ?

Je pense qu’il y a un grand espoir. Nous avons une jeunesse qui est maintenant scolarisée. Nous avons une première génération sortie de ce système scolaire avec un niveau académique plus ou moins remarquable. Cette jeunesse demande à être de plus en plus impliquée dans la vie politique, économique et culturelle dans ce pays. C’est à elle de prendre la relève. Cette jeunesse ne doit pas se décourager devant l’énormité du défi à relever. Je suis souvent enchantée de rencontrer des jeunes, qui viennent parfois des milieux défavorisés, mais qui arrivent à se rendre utiles. Ils sont le souci d’être utiles à leur famille, leur milieu social et à leur communauté. Je suis persuadée que cette poignée de jeunes est capable de changer la Guinée. Je souhaite que ces jeunes soient guidés par des valeurs d’équité, d’entraide, de citoyenneté et de fierté pour cette Guinée multiculturelle. J’encourage les jeunes à trouver leurs places en Guinée. Ils peuvent aller découvrir le monde, pour acquérir des expériences, mais qu’ils reviennent au berceau pour se voir dans ce pays qui est les leurs. Si on reste silencieux et complexé de sa culture, on ne peut rien lui apporter.

DIALLO Mahmoudou

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