Au théâtre: »Sur la pelouse » ou le massacre du 28 Septembre 2009 sur scène !

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Le 19 décembre dernier, les planchers du Centre Culturel Franco-Guinéen (CCFG) ont vibré sous la représentation du mélodrame « Sur la pelouse »,

une représentation théâtrale du massacre du 28 septembre 2009.Un texte du jeune et prometteur Hakim Bah avec une mise en scène signée Soulay Thi’anguel, le tout conçu par la compagnie Laborato’Art.

Une table de billard au milieu de la scène, de part et d’autre des bouteilles de bière, à l’extrémité des casiers vides, au fond un podium et des instruments de musique. Le décor est bien planté pour camper les faits à travers La Voix (celle de la chanteuse Kady Diop), qui chante mélancolique, narre et explique. Plus loin d’elle, il y a la Brigadière qui, elle, écoute ses complaintes…

En face de ces deux femmes, le Comandant Fout-la-Trouille (incarné par Tounkara), en tenue de Donzo (chasseur traditionnel), avalant bouteille de bière sur bouteille, joue du billard. Tous attendent ceux qui doivent venir…..les manifestants, les sans cervelles, les crapules, les empêcheurs de tourneur en rond. A l’impatience du Commandant-Fout-la-trouille, véritable pantin politique, qui veut en découdre avec les manifestants, s’oppose l’insouciance, la naïveté et l’inquiétude de Brigadière.

Le téléspectateur est vite conduit dans une sorte de mélodrame, où les maux sont exprimés dans un langage barbare, sans doute pour mieux montrer la barbarie qui se prépare. Au fur et à mesure La Voix s’élève pour dénoncer les viols des femmes, les tueries, les kalachs qui pénètrent dans les vagins, les têtes qui tombent….Toutes choses qui, aux yeux de Commandant-Fout-la-Trouille ne sont que normales. N’en déplaise à Brigadière ! Comme si le deuil devenait un jeu ! La vérité est crue, parfois choquante pour ceux qui ont subi les viols. Mais on en rit et on en pleure.

Les jeux des acteurs, leur déplacement sur scène, les costumes et lumières n’ont pas été du reste, pour mieux éclairer nos lanternes sur le drame survenu le 28 septembre 2009 au stade du même nom à Conakry. Ce jour-là, on le sait, quelques 156 manifestants de l’opposition avaient été tués, des femmes violées, par des militaires et des miliciens en civils

Au-delà 28 septembre 2009, l’auteur a aussi touché la révolution Sékoutouréenne, qui comme Saturne, a avalé ses propres enfants au tristement célèbre Camp Boïro. Rappelant notamment les arrestations nocturnes que personne n’osait dénoncer, les pendaisons, les faux montages…

Au finish, il y a eu cette chanson-requiem, dédiée à des grandes icônes du monde comme feus Williams Sassine, Camara Laye, Diallo Telly, pour ne citer que ceux-là ! Entre rires et grincement de dents, « Sur la pelouse » est une pièce à consommer sans modération.

Azoca Bah

Que du chemin parcouru par la Compagnie Laborato’Art

On peut tirer le chapeau à SoulayThi’anguel et sa compagnie Laborato’Art. En une année, dans un contexte où les écrivains-dramaturges ne courent pas les rues en Guinée, ils ont réussi à faire deux créations théâtrales.

Auparavant, il y avait l’adaptation théâtrale de l’Enfant Noir, de Camara Laye. Une représentation qui avait essuyé les tirs aux boulets rouges de certains critiques. Mais les plus virulentes étaient venues du côté de la famille de feu Camara Laye. Celle-ci reprochait au metteur en scène, d’avoir trahi le texte original de L’Enfant Noir, profané la culture mandingue (que personne ne devrait y toucher) et d’avoir montré Laye et Marie nus sur scènes. Même que les cordes des pendus, démontrant l’univers carcéral du Camp Boïro, n’avaient rien à faire dans cette affaire. N’empêche !

En l’espace de quatre ans, Soulay Thi’anguel est parvenu à mettre également en scène la pièce « Brasserie » de l’ivoirien Koffi Kwahulé. Une autre représentation décapante d’une Afrique frappée par la guerre civile qui a tout détruit sur son passage sauf une brasserie, que les deux nouveaux chefs – le Capitaine S’en fout la mort et le Caporal Foufafou – ont pour mission de remettre en marche. Les scènes sont enlevées, l’humour et l’imaginaire circulent alertement dans cette comédie politique et satirique.

De la « Brasserie », Thi’anguel a vite franchi la scène pour entrer dans « Le Château de la ruelle », un texte rédigé par Bilia Bah. Quand s’ouvre Les Châteaux de la ruelle, Samba vient d’apprendre la mort de son frère aîné, exilé voici plusieurs années dans l’Eldorado qu’est Paris, où il aurait d’ailleurs acquis un château avec sa jeune femme française. Ni une ni deux, Samba décide de partir en France pour y épouser sa belle-sœur, comme le veut la tradition, et se faire La belle vie à Paname! Sauf qu’immigrer se révèle être un parcours du combattant…

Écrite comme un Chapeau de paille africain, avec une verve et un sens du rythme indéfectibles, cette comédie entrechoque avec beaucoup de malice les fantasmes et les préjugés des africains sur le Paradis que serait l’Occident et, réciproquement, des français sur l’Afrique. Mais derrière la fantaisie et la satire, c’est le désarroi d’une jeunesse africaine privée de tout avenir qui parle en filigrane..

En mai 2011, encore sous la mise en scène, le public redécouvre « Roméo et Juliette »… à la sauce guinéenne.Au-delà de l’histoire d’un amour tragique, le metteur en scène a fait ressortir, à travers les costumes des comédiens et le décor, la situation sociopolitique guinéenne de ses dix dernières années. Répression de la grève de janvier-février 2007, massacre du 28 septembre 2009, conflits intercommunautaires en 2010 à l’occasion des élections présidentielles. Pour 2013, le metteur en scène promet d’autres créations et adaptations. Vivement 2013 !

Azoca Bah

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