Festival de Francophonie en limousin: Sevestre dit tout !

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Ce mercredi 24 septembre au soir s’ouvre la 31e édition du Festival des Francophonies en Limousin. Pendant onze jours, 250 écrivains, metteurs en scène, acteurs, artistes et musiciens se donnent rendez-vous à Limoges pour faire vibrer la création théâtrale francophone : de l’Oratorio en direction de la Syrie en passant par l’Opéra circassien belge jusqu’à la Cantate de guerre venue du Canada, du Congo et du Cameroun. Et il y aura aussi la remise du premier Prix RFI Théâtre. Entretien avec la directrice du Festival, Marie-Agnès Sevestre.

 

Vous promettez un Festival de « l’enrichissement, des apports linguistiques » et « des chocs esthétiques ». De quels chocs esthétiques s’agit-il ?

Les chocs, on les aura lorsqu’on découvrira des propositions imprévues, par exemple quand Dieudonné Niangouna décide de parler de Kung Fu. Ce n’est pas évident que le théâtre s’empare de tels sujets comme l’art du combat. Ou lorsqu’une compagnie de Québec met en œuvre une sorte de manifeste situationniste autour de La Jeune Fille et la mort par des moyens liés aux arts plastiques, à la musique ou au happening. Ce sont des moments originaux que l’on essaie d’apporter ici à Limoges et en Limousin et qui montrent la diversité et la richesse de la création en langue française.

Lors du lancement, le Festival vivra une forme d’« Oratoriosolidaire » en direction des habitants d’Alep en Syrie. Comment est née cette idée et quelle spectacle se prépare pour ce mercredi soir ?

L’idée est née d’une discussion que j’avais eue avec Marcel Bozonnet, ancien administrateur de la Comédie Française et magnifique comédien. Je lui avais demandé d’emmener un groupe de musiciens, de chanteurs et d’acteurs amateurs sur un projet. Marcel Bozonnet est extrêmement bouleversé par ce qui se passe en Syrie, notamment parce qu’il connaît très bien la ville d’Alep où il a beaucoup d’amis. Il avait envie de donner, à Limoges, une sorte de résonance à ce désastre humain et culturel, sur le plan politique et des droits de l’homme. Il voulait proposer aux habitants de Limoges de dire quelque chose qui soit comme un moment de solidarité, de compassion pour cette population. C’est comme une ville, Limoges, qui s’adressera à une autre ville, Alep, pour dire aux habitants qu’ils ne sont pas oubliés. Même si nos gouvernants n’agissent pas beaucoup, nous les savons dans les ruines et dans la souffrance et nous pensons à eux.

Les Francophonies sont le rendez-vous incontournable pour la création francophone avec des créateurs qui viennent aussi bien du Congo que d’Afghanistan, d’Haïti ou de Madagascar. Comment cet espace de création francophone a-t-il évolué ces dernières années ?

Il s’est énormément diversifié, parce que beaucoup de pays, notamment en Afrique, avaient un rapport à la France très lié à des dispositifs, des financements, de la coopération etc. Tout cela est de moins en moins à l’œuvre, avec moins d’argent et moins de volonté politique. Mais, d’un autre côté, les artistes se sont organisés, peut-être pour survivre, mais aussi pour dialoguer et échanger entre eux.

Beaucoup de projets rassemblent maintenant des artistes de différents pays, de différents langages artistiques aussi. Aujourd’hui, on n’est plus surpris de rencontrer des projets qui rassemblent des artistes, des musiciens, des auteurs et plasticiens de différents pays. Je sens la francophonie totalement affranchie d’un rapport qui serait comme une sorte de cordon ombilical avec la France. On peut le regretter, mais on constate que ce cordon ombilical n’existe plus. Au contraire, les artistes circulent maintenant à l’intérieur d’un espace où la France ne fait plus la pluie et le beau temps. Il y a beaucoup de gens qui trouvent des moyens de travailler ensemble. Ici, nous essayons d’en rendre compte et de rendre cela le plus vivant possible.

Sept rendez-vous dont trois gratuits seront consacrés au(x) Congo(s) aujourd’hui dont le solo Kung Fu et le texte M’appelle Mohamed Ali de Dieudonné Niangouna, mais aussi Cantate de guerre, une mise en scène d’Harvey Massamba. Aujourd’hui, c’est le Congo le plus grand foyer de la créativité francophone en Afrique ?

Il est certain qu’il y a en ce moment une espèce d’« école congolaise », par exemple dans la littérature où il y a des très jeunes auteurs congolais qui sont absolument formidables comme Julien Mabiala Bissila ou Sylvie Dyclo-Pomos. On parle de Dieudonné Niangouna, parce qu’il est un peu un phare en ce moment, mais il y en a beaucoup d’autres. L’Afrique centrale reprend actuellement énormément d’activités, après des guerres qui l’ont absolument laminée. La RDC est un foyer formidable dans les arts plastiques, la danse, la musique…

Peut-être est-ce aussi notre regard en France qui a changé. A une époque, on était peut-être plus attentifs à tout ce qui venait de l’Afrique de l’Ouest, à cette culture mandingue qui a fait beaucoup parler d’elle. Aujourd’hui, la culture bantoue est très présente. Une culture qui s’est aussi bien confrontée à la forêt qu’aux guerres et à des gouvernements assez corrompus. Tout cela donne un foyer d’effervescence et de créativité extraordinaire. Mais, il y a des cycles et je suis persuadée, notamment avec toutes ces activités au Burkina Faso autour des Récréâtrales, que l’Afrique de l’Ouest va se retrouver dans les prochaines éditions du Festival.

Les Francophonies ouvriront aussi une fenêtre pour consacrer les dix ans de résistance du Festival Mantsina sur Scène. Qu’est-que ce Festival à Brazzaville nous apprend en France ou en Europe ?

On apprend énormément de choses. Découvrir qu’il y a une activité aussi exceptionnelle, dans une ville comme Brazzaville où il n’y a quasiment plus aucun théâtre, c’est formidable. Une activité qui maintient vivant et qui entretient la flamme de la création en langue française et qui se réclame de cette création en langue française avec beaucoup de force. Regardons ce que font les autres festivals. Comment se posent-ils la question de la langue, de l’identité, de la place de l’homme dans la société, des rapports Nord-Sud, des rapports aux pays avoisinants ? Essayons de faire résonner nos actes artistiques avec leurs forces. Nous avons besoins d’ouvrir ces fenêtres.

Vous avez conçu un programme en rapprochant des arts qui sont rarement habitués à se fréquenter, comme le cirque et l’opéra ou les arts du combat et la poésie. Et pour la première fois sera décerné un Prix RFI Théâtre lors des Francophonies. Le théâtre et la radio, est-ce aussi un bon couple ?

C’est un couple formidable. Cela fait très longtemps que le théâtre existe sur les ondes en France. RFI avait eu toute une époque magnifique de soutien aux jeunes artistes de théâtre. Et puis cela s’est perdu. Cette année, la direction de RFI a décidé de relancer ce prix en s’appuyant sur le travail du Festival des Francophonies. Nous sommes extrêmement fiers de participer à cette renaissance. 

 

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