Dans un entretien qu’il a accordé à notre confrère Guineenews, Bah Oury, vice-président de l’UFDG en exil en France, est revenu en long et en large sur la situation sociale et politique qui prévaut actuellement en Guinée. Il a également dénoncé la course effrénée à l’enrichissement illicite et au pillage des ressources nationales au profit d’un clan et d’une famille. Lisez plutôt !
Thank you for reading this post, don't forget to subscribe!
Guinéenews© : Le président Alpha condé est en voie de gagner le terrain sur les désaccords liés au processus électoral entre lui et l’opposition ? Quelle lecture faites-vous sur ce sujet ?
Bah Oury : Dans un sens, vous avez raison. En effet les responsables du collectif des oppositions ont mal négocié le tournant relatif à la recomposition paritaire de la CENI et de la désignation des commissaires de cette institution. La loi organique votée par le CNT a été restrictive, déséquilibrée et taillée sur mesure en faveur du pouvoir en place. L’abandon du mode de consensus pour acter les décisions au sein de la plénière de la CENI au profit du vote majoritaire a vidé cette institution de ses prérogatives d’actrice neutre, consensuelle et garante de la transparence des élections. Cet état de fait, a ravalé la CENI comme une excroissance du ministère de l’administration du territoire d’Alassane Condé. Le collectif des oppositions a également banalisé la désignation des commissaires, en acceptant que son quota soit amputé, ce qui confère aujourd’hui une majorité absolue à la mouvance présidentielle de toutes les façons.
Cette bataille perdue, a tracé un boulevard à Alpha Condé pour imposer la mascarade électorale qu’il a déjà programmée. En d’autres termes, le collectif des partis de l’opposition est responsable de ce dérapage qui a permis au pouvoir de faire avancer son projet en se drapant d’une certaine légalité que la CENI lui permet de valider.
Guinéenews© : Le gouvernement a adopté des mesures de lutte contre les crimes économiques et l’amélioration de la bonne gouvernance économique. Ainsi, le taux d’inflation a été maitrisé, le FG s’est stabilisé. Cela a d’ailleurs permis à l’Etat l’atteinte en septembre 2012 le point d’achèvement de l’initiative pays pauvres très endettés avec le fonds monétaire international et la banque mondiale, aboutissant à l’annulation de plus des 2/3 de la dette multilatérale du pays ; soit un montant total 2,1 milliards de dollars ; ensuite, le club de paris a annulé, en octobre 2012 aussi 99,2 pour cent de la dette soit 655,9 millions de dollars. Cela aurait pu réduire la pauvreté et permettre au gouvernement de créer des emplois mais, cependant ce sont plutôt des entreprises qui sont en train de fermer ? Quel regard portez-vous sur cette situation ? Nos ressources sont-ils gérées dans la transparence ?
Bah Oury : Permettez-moi d’abord d’apporter quelques précisions. Pour la seule année de 2010, le gouvernement d’union nationale et de transition de Jean Marie Doré a fait exploser la masse monétaire de 40 pour cent en utilisant à outrance la planche à billets. Le mérite de la gouvernance actuelle est d’avoir stoppé cette création monétaire sans contreparties en biens et services et d’avoir augmenté substantiellement les réserves de change qui ont atteint 5,4 mois d’importation à juin 2012. Toutefois, cette amélioration due essentiellement à des opérations exceptionnelles en provenance du secteur minier n’inverse pas les déséquilibres macro-économiques structurels qui handicapent le pays. Le taux d’inflation, reste le plus élevé de tous les pays de l’Afrique de l’Ouest. Les mesures prises sont essentiellement administratives et par conséquent n’ont pas modifié la structure de l’économie guinéenne. D’ailleurs, certaines caractéristiques pathogènes comme la corruption et la mauvaise gouvernance se sont amplifiés.
Nous nous félicitons de l’atteinte très tardive du point d’achèvement de l’initiative PPTE. Mais malheureusement, la création de nouvelles richesses est faible, car l’économie réelle générée par le secteur privée est faible. Les attentes au niveau du secteur minier ont été déçues. Ce secteur essentiel est plus marqué par le développement de l’affairisme et de détournement des deniers publics. Le fils d’Alpha Condé est devenu « l’empereur des mines ». Le secteur énergétique indispensable pour le développement des activités créatrices de revenus n’a pas connu une amélioration significative malgré les 300 millions de dollars US engloutis dans les projets d’EDG (électricité de Guinée). Pire encore, l’eau denrée sans laquelle la vie devient impossible est un luxe à Conakry. La gouvernance d’Alpha Condé me parait plus comme une course effrénée à l’enrichissement illicite et au pillage des ressources nationales au profit d’un clan et d’une famille.
Guinéenews© : Il y a eu violation du secret de l’instruction en vous nommant comme étant instigateur du coup d’Etat contre monsieur Alpha Condé bien avant le début des enquêtes préliminaire. Ce que nous pouvons remarquer depuis le début du procès en aucun moment un accusé n’a parlé de vous mais cependant, le commissaire Fabou dit avoir détenir des preuves irréfutables contre vous, il peine néanmoins à vous inculper. D’ailleurs, beaucoup de gens disent que vous seriez disculpé de l’accusation. Qu’en pensez-vous ?
Bah Oury : Avec une justice aux ordres, je m’attends à tout. Ce qui m’importe le plus dans cette affaire est le sort des dizaines de civils et de militaires injustement incarcérés. Le procès a permis de montrer aux plus sceptiques que les réflexes hérités des pratiques du sinistre camp Boiro, demeurent vivaces dans l’environnement carcéral guinéen. Par ailleurs, la société politique guinéenne est schizophrène et est encore marquée par les méthodes staliniennes du parti-Etat le PDG de Sékou Touré. La violence, les meurtres, la délation et les mensonges ternissent l’image de la Guinée dans le monde. Malheureusement les dirigeants guinéens de l’indépendance à nos jours ont montré leurs désintérêts pour le respect des droits de l’homme et du citoyen en Guinée.
Guinéenews© : Vous avez récemment interpelé les Nations Unies au sujet des élections législatives prévues le 30 juin prochain en Guinée. Cependant, une marche prévue jeudi avait été suspendue à la demande des Nations Unies. Nous avons appris que votre passage au Haut-commissariat des Nations Unies a été pris avec beaucoup de sérieux. Qu’en dites-vous ?
Bah Oury : Le rôle du responsable politique est d’anticiper et d’ er aussi bien l’opinion nationale que la communauté internationale sur les dangers qui guettent tout un pays. De ce point de vue, j’essaye d’assumer mes responsabilités. Je me réjouis que mon action soit prise en compte. Toutefois, il reste beaucoup à faire pour trouver une voie de sortie de crise pour notre pays. Quelque soit l’importance des écueils, il est essentiel de ne pas baisser les bras.
Guinéenews© : Pensez-vous que les Nations Unies sauront trouver un consensus sur ce sujet qui, particulièrement implique l’avenir de notre pays. Sinon à quel scénario pourrons-nous s’attendre ?
Bah Oury : Comme je vous l’ai dit, il est difficile d’envisager l’avenir avec optimisme tant qu’Alpha Condé sera au pouvoir. Sa gouvernance est malheureusement caractérisée par l’exacerbation de l’ethno-stratégie, la violence et le mépris des règles de l’Etat de droit. Le projet politique qui a sous-tendu l’accession d’Alpha Condé est bâti autour des conservatismes qui depuis l’indépendance ont bloqué l’évolution politique et économique de notre pays. Ce sont ainsi les nostalgiques du parti- Etat et les milieux prédateurs qui ont accompagné la gouvernance du général Lansana Conté qui vivent en parfaite intelligence autour de la présidence d’Alpha Condé. A maints égards, le système actuel est l’illustration la plus significative du modèle prédateur néo-patrimonial dont l’épine dorsale est l’ethnocentrisme militant de la coordination mandingue. C’est pour cela que je n’entrevois pas une possibilité pour les Nations Unies de contrecarrer ce programme politique uniquement par la voie diplomatique. Les violences répétitives, les politiques d’exclusions et de marginalisations et le mépris des droits des citoyens et des principes de l’Etat de droit ne sont pas fortuits. Ils rentrent dans un vaste cadre d’embrigadement des populations guinéennes et de siphonage des ressources nationales par un clan mafieux dont le chef de file est l’actuel chef de l’Etat guinéen. A mon sens, l’alternative la plus réaliste pour sauver la Guinée d’une descente aux enfers est le départ du pouvoir d’Alpha Condé. Il appartient aux Guinéens d’agir dans ce sens pour éviter les affres de la guerre civile, pendant qu’il est temps.
Guinéenews© : Un membre de votre bureau politique national en la personne de Monsieur Konaté a claqué la porte et a rejoint les rangs de la mouvance présidentielle il n’y a pas longtemps. Au cours d’une récente interview avec un de nos reporters, il a dénoncé certaines pratiques au sein de votre formation politique UFDG qu’il ne partage aucunement. Quelle lecture faites-vous sur le fonctionnement de l’UFDG aujourd’hui ?
Bah Oury : Dans un environnement multi-partisan et d’exclusion des emplois publics de tous les cadres proches de l’opposition démocratique, il n’est pas étonnant que le débauchage politique se développe à l’approche des élections législatives. La mouvance présidentielle use de la corruption et des promesses d’obtention de « postes juteux » pour s’attirer les cadres les plus fragiles pour tenter d’affaiblir les forces démocratiques. Mais d’ores et déjà, le pouvoir ne parviendra pas à ses fins car il a perdu la confiance d’une large majorité des Guinéens. Le développement actuel de la contestation sociale et politique du régime est un indicateur éloquent que le vent du changement a commencé à souffler en Guinée.
Par ailleurs, le fonctionnement de l’UFDG aujourd’hui est critiquable en maints points essentiels. Ce parti que nous avons fondé à la fin des années 80 pour incarner les aspirations démocratiques des Guinéens et leur volonté de faire émerger une nation moderne, prospère et fière de la richesse des diversités ethniques qui la composent a besoin d’une profonde réforme pour assumer son rôle et sa mission. L’UFDG sera une institution politique durable et forte pour que la Guinée puisse saisir ses chances. J’inscris mon engagement politique dans ce difficile combat. Bien entendu les adversités sont multiples et parfois inattendues. Mais, j’ai la ferme conviction que le chemin que nous empruntons est celui qui nous permettra de faire de notre pays, un grand pays pour les prochaines années. Un parti structuré, fort et démocratique tel que nous le voulons, pourra stopper le cycle du déclin et des dictatures.
Guinéenews© : Des mesures ont été prises par un groupe de juges nommé par le parquet général de Conakry pour enquêter sur les évènements du 28 septembre 2009 certes, mais le gouvernement peine à accélérer les poursuites judiciaires contre les responsables de ces évènement, y compris les auteurs d’actes de violences sexuelles commis sur des femmes et des jeunes filles. Cependant, un gendarme vient d’être inculpé pour viol à ce sujet. Comment expliquer vous ce retard de résultats ?
Bah Oury : Le gouvernement d’Alpha Condé n’a aucune volonté de faire la lumière sur la tragédie du 28 septembre 2009. De temps en temps il agite un foulard rouge pour tenir en respect certaines forces ciblées par les enquêteurs internationaux. C’est ainsi qu’il a complaisamment accepté d’autoriser la participation du capitaine Dadis Camara à l’inhumation de sa mère. De manière plus globale, le devoir de mémoire est indispensable, sinon d’autres tragédies plus vastes et plus meurtrières pourront endeuiller encore la Guinée. La préservation de l’avenir du pays, nécessite que tous les acteurs politiques, sociaux et institutionnels aient une attitude conséquente et cohérente pour empêcher la répétition des tragédies collectives. Malheureusement, nous sommes loin du compte pour le moment. Cette réalité rend notre situation collective encore plus douloureuse.
Guinéenews© : Certaines personnes vous taxent Monsieur Bah d’extrémiste et dure à l’égard de Monsieur Alpha condé dès le début de sa mandature. Que répondez-vous à ceux qui vous collent cette étiquette ?
Bah Oury : Dès le début, Alpha Condé a décliné sa stratégie politique en stigmatisant une partie de la communauté nationale, en montrant sa volonté de réduire à néant les acquis démocratiques antérieurs tout en foulant au pied les règles constitutionnelles et le cadre réglementaire du pays. Pour un pays qui a souffert dans sa chaire des tragédies du 22 janvier 2007 et du 28 septembre 2009, il était important de réconcilier et d’apaiser les rancœurs au lieu d’exacerber les passions ethnocentriques. La gouvernance d’Alpha Condé a dès le début opté pour l’exclusion et la politique de la terreur et a superbement ignoré l’autorité de la loi. Par conséquent, ma réaction est logique, car je me suis toujours opposé aux dictatures dans notre pays. Il n’y a aucune exception à faire pour le régime d’Alpha Condé car il a bafoué l’intérêt national et mène le pays à la ruine. C’est un devoir civique et patriotique de s’opposer à un régime anti-démocratique et violent. Si être favorable au respect de la loi et des droits de l’homme est considéré comme étant extrémiste alors je suis extrémiste. L’exigence de démocratie et de respect des droits des citoyens est une autre manière de promouvoir la paix et la réconciliation. Bah Oury s’inscrit dans cette voie.
Interview réalisée par Thierno Brel Barry, chef de bureau de Guinéenews© à Genève, Suisse