Liberté de Presse Mondiale : La Guinée passe du 109ème rang (2021) au 84ème (2022)

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La 20e édition du Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF révèle une double polarisation, amplifiée par le chaos informationnel : polarisation des médias entraînant des fractures à l’intérieur des pays et polarisation entre les États sur le plan international. Pour ce qui est de la Guinée, rapport notre que le pluralisme des médias est bien réel en Guinée et les journalistes jouissent d’une certaine liberté de ton. Le nouveau régime de transition installé depuis le coup d’État de septembre 2021 est attendu au tournant sur les questions relatives à la liberté de la presse.

Paysage médiatique

Le paysage médiatique est pluraliste en Guinée. Depuis les années 1990, la presse écrite est florissante : sur 65 hebdomadaires existants, 10 paraissent régulièrement, qu’il s’agisse de journaux satiriques comme Le Lynx, ou de journaux d’informations générales comme L’Indépendant. Le secteur audiovisuel est composé d’au moins 60 radios et d’une dizaine de chaînes de télévision. En ligne, une centaine de sites d’information ont vu le jour en 25 ans. Pourtant, la production d’informations critiques et indépendantes reste difficile, particulièrement lorsque celles-ci mettent en cause des membres du gouvernement ou des forces de sécurité.

Contexte politique

Durant la présidence d’Alpha Condé (2010-2021), les autorités tentaient régulièrement de censurer les médias critiques du pouvoir. Depuis l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement de transition, la situation semble s’être apaisée et le Premier ministre s’est engagé, lors d’une rencontre avec RSF, à défendre la liberté de la presse dès sa prise de fonction. Le manque de visibilité incite tout de même les journalistes à la prudence.

Cadre légal

La fin des peines privatives de liberté pour les délits de presse consacrée dans la loi sur la liberté de la presse promulguée en 2010 constitue une avancée majeure pour protéger les journalistes. Toutefois, la loi organique portant sur le droit d’accès à l’information publique et instaurant le principe de transparence n’est toujours pas en vigueur malgré son adoption en novembre 2020, et des journalistes continuent de faire l’objet d’arrestations et de détentions.

Contexte économique

En Guinée, les médias de service public sont favorisés aux dépens des médias privés, l’État priorisant le public dans l’accès aux événements officiels et pour effectuer les communications gouvernementales. Les subventions accordées aux médias privés sont jugées insuffisantes. En outre, la pandémie de Covid-19 a exacerbé les difficultés financières touchant le secteur de la presse.

Contexte socioculturel

Quelques sujets comme l’homosexualité la polygamie ou les violences conjugales sont traités avec une certaine prudence, voire de la retenue pour ne pas heurter la morale publique. Il arrive également que des journalistes abordant la question de la lutte contre les mutilations génitales féminines ou du mariage forcé soient ciblés par des groupes d’intérêt religieux.

Sécurité

Les journalistes sont régulièrement victimes d’agressions et de violences, particulièrement lors de manifestations politiques. Les professionnels des médias sont aussi fréquemment victimes de menaces de mort et de harcèlement sur les réseaux sociaux. Les auteurs de ces actes de violence, souvent des agents des forces de l’ordre, mais aussi des militants de partis politiques ou des activistes, restent dans l’immense majorité impunis.

La 20e édition du Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF révèle une double polarisation, amplifiée par le chaos informationnel : polarisation des médias entraînant des fractures à l’intérieur des pays et polarisation entre les États sur le plan international.

Le Classement mondial de la liberté de la presse, qui évalue les conditions d’exercice du journalisme dans 180 pays et territoires, démontre en 2022 les effets désastreux du chaos informationnel (un espace numérique globalisé et dérégulé, qui favorise les fausses informations et la propagande). Dans les sociétés démocratiques, le développement de médias d’opinion sur le modèle de Fox News et la banalisation des circuits de désinformation, amplifiée par le fonctionnement des réseaux sociaux, provoquent un accroissement des clivages. Sur le plan international, l’asymétrie entre, d’une part, les sociétés ouvertes et, d’autre part, les régimes despotiques qui contrôlent leurs médias et leurs plateformes tout en menant des guerres de propagande, affaiblit les démocraties. Aux deux niveaux, cette double polarisation est un facteur d’intensification des tensions.

L’invasion de l’Ukraine (106e) par la Russie (155e) à la fin du mois de février 2022 est emblématique du phénomène, puisqu’elle a été préparée par une guerre de la propagande. Parmi les régimes autocratiques les plus répressifs, la Chine (175e) a utilisé son arsenal législatif pour confiner sa population et la couper du reste du monde, et particulièrement celle de Hong Kong (148e), qui dévisse significativement dans le Classement. La logique d’affrontement des “blocs” se renforce, comme entre l’Inde (150e) du nationaliste Narendra Modi et le Pakistan (157e). Au Moyen-Orient, l’insuffisance de la liberté de la presse continue d’impacter le conflit entre Israël (86e), la Palestine (170e) et les pays arabes.

Dans les régimes démocratiques, la polarisation médiatique renforce et entretient les clivages internes aux sociétés, par exemple aux États-Unis (42e), malgré l’élection du démocrate Joe Biden. Le regain des tensions sociales et politiques est accéléré par les réseaux sociaux et de nouveaux médias d’opinion, notamment en France (26e). Dans certaines “démocraties illibérales”, la répression de la presse indépendante est un facteur de polarisation intense. En Pologne (66e) par exemple, les autorités ont consolidé le contrôle de l’audiovisuel public et leur stratégie de « repolonisation » des médias privés.

Le trio de tête des pays nordiques – Norvège, Danemark et Suède – reste le modèle démocratique où s’épanouit la liberté d’expression et cette année, grâce à un changement de gouvernement en Moldavie (40e) et en Bulgarie (91e), ces deux pays se distinguent par l’espoir d’une amélioration de la situation des journalistes, même si les médias y sont encore essentiellement détenus ou contrôlés par des oligarques.

Un nombre record de pays sont en “situation très grave”. Douze pays au total intègrent la liste rouge de notre classement, dont le Bélarus (153e) et la Russie (155e). Parmi les pays les plus répressifs pour la presse, la Birmanie (176e), où le coup d’État de février 2021 a brutalement ramené la situation des journalistes dix ans en arrière, figure désormais aux côtés de la Corée du Nord (180e), de l’Érythrée (179e), de l’Iran (178e), du Turkménistan (177e) et de la Chine.

La rédactrice en chef de Russia Today, Margarita Simonian, a révélé le fond de sa pensée dans une émission de la chaîne Russia One en affirmant qu’“aucune grande nation ne peut exister sans un contrôle de l’information ”, souligne le secrétaire général de RSF, Christophe Deloire. “La mise en place d’un armement médiatique dans les pays autoritaires annihile le droit à l’information de leurs citoyens, mais il est aussi le corollaire de la montée des tensions sur le plan international, qui peuvent mener aux pires guerres. Sur le plan interne, la “fox-newsisation” des médias est un danger funeste pour les démocraties, car elle sape les bases de la concorde civile et d’un débat public tolérant. Face à ces dérives, il est urgent de prendre les décisions qui s’imposent, en promouvant un New Deal pour le journalisme, tel que proposé par le Forum sur l’information et la démocratie, et en adoptant un cadre légal adapté, avec notamment un système de protection des espaces informationnels démocratiques.”

Une nouvelle méthodologie pour le classement

À l’occasion de la 20e édition du Classement mondial, RSF a fait évoluer sa méthodologie, en travaillant avec un comité de sept experts* issus du monde universitaire et des médias.

Ce travail a permis de définir la liberté de la presse comme “la possibilité effective pour les journalistes, en tant qu’individus et en tant que collectifs, de sélectionner, produire et diffuser des informations dans l’intérêt général, indépendamment des interférences politiques, économiques, légales et sociales, et sans menaces pour leur sécurité physique et mentale”. Il en résulte cinq nouveaux indicateurs qui structurent le Classement et donnent une vision de la liberté de la presse dans sa complexité : contexte politique, cadre légal, contexte économique, contexte socioculturel et sécurité.

Dans les 180 pays classés par RSF, ces indicateurs sont évalués sur la base d’un relevé quantitatif des exactions commises à l’encontre des journalistes et des médias, ainsi que d’une étude qualitative fondée sur les réponses de centaines d’experts de la liberté de la presse sélectionnés par RSF (journalistes, universitaires, défenseurs des droits humains) à 123 questions. Le questionnaire a été actualisé afin de mieux prendre en compte certains enjeux, notamment liés à la numérisation des médias.

Du fait de cette évolution méthodologique, les comparaisons de rang et de score entre 2021 et 2022 sont à manier avec précaution. Le recueil des données a été arrêté fin janvier 2022, mais des réactualisations de janvier à mars 2022 ont été opérées pour certains territoires où la situation avait drastiquement changé (Russie, Ukraine et Mali).

Thomas Hanitzsch, chercheur à l’université Louis-et-Maximilien de Munich au sein du département Études sur la communication et recherche sur les médias, spécialisé notamment dans les cultures journalistiques mondiales et la méthodologie comparative ; David Levy, chercheur associé et ancien directeur du Reuters Institute for the Study of Journalism, membre du bureau britannique de RSF ; Sallie Hughes, professeure au sein du département Management du journalisme et des médias de l’université de Miami, ancienne journaliste du Miami Herald, du Washington Post et de Maclean’s ; Herman Wasserman, professeur d’étude des médias à l’université de Cape Town et rédacteur en chef de la revue African Journalism Studies Laura Moore, journaliste, responsable de la recherche et de l’évaluation de la Deutsche Welle Akademie, auteure du livre Measuring Global Media Freedom (Springer VS, 2020) ; Thibaut Bruttin, adjoint au directeur général de RSF ; Prem Samy, lorsqu’il était responsable du Classement mondial de la liberté de la presse pour RSF, puis Nalini Lepetit-Chella.

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POUR EN SAVOIR PLUS :

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Contact presse
Pauline Adès-Mével
padesmevel@rsf.org /
(0033) (0)7 82 37 23 12
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