Le verdict est tombé ce matin, comme un couperet. La chambre 46 du tribunal régional de Manille a condamné à une peine, allant de six mois et un jour à six ans de prison, la journaliste Maria Ressa, directrice et cofondatrice du site d’information indépendant Rappler. L’ancien rédacteur du site, Reynaldo Santos Jr, a reçu la même condamnation. Les deux journalistes vont interjeter appel. Ils sont reconnus coupables de diffamation à propos d’un article qui avait été publié en 2012, et ce en vertu d’une loi sur la cybercriminalité qui a pourtant été promulguée après la parution des informations litigieuses.
Thank you for reading this post, don't forget to subscribe!Cette législation n’étant pas rétroactive, les enquêteurs du Bureau national d’investigation avaient logiquement classé sans suite la plainte originelle qui visait Rappler en février 2018. C’était sans compter sur l’administration du président Rodrigo Duterte, et plus précisément le ministère de la Justice, qui a ordonné une nouvelle plainte le 6 février 2019, arguant d’une prétendue “règle de la publication continue”.
“En prononçant cette condamnation particulièrement lourde, au terme d’une procédure parfaitement kafkaïenne, la justice philippine fait montre de sa totale absence d’indépendance face au pouvoir exécutif, déplore Daniel Bastard, responsable du bureau Asie-pacifique de RSF. Cette sentence porte la marque funeste du président Duterte et de sa volonté d’éliminer à tout prix toute voix critique, à travers Rappler et la figure de Maria Ressa. Nous appelons la cour d’appel de Manille à redonner un semblant de crédibilité à l’appareil judiciaire philippin en annulant cette condamnation en seconde instance.”
Harcèlement systématique
La condamnation de Maria Ressa et de Rappler s’inscrit dans une politique de harcèlement judiciaire systématique exercée depuis plus de deux ans par différentes agences gouvernementales. Le site d’information, en son nom propre ou au nom de sa directrice, doit ainsi répondre de dix autres plaintes similaires visant à intimider ses journalistes, toutes plus infondées les unes que les autres.
Refus d’accès au palais présidentiel, menace d’annuler la licence du site, accusations d’évasion fiscale… Les autorités philippines ne reculent devant rien pour faire pression sur les reporters du site, au point de placer arbitrairement sa directrice en détention, comme ce fut le cas en février 2019.
Le mois dernier, un des seuls autres médias critiques du pouvoir, le réseau ABS-CBN, principal groupe audiovisuel de l’archipel, a vu sa licence d’exploitation annulée. Le 5 mai au soir, ses stations de radio et ses chaînes de télévision ont dû cesser toute diffusion après avoir été mises en demeure par le ministère de la Justice, suite à une ordonnance émise par la Commission nationale des télécommunications des Philippines.
Quelques mois plus tôt, le bouillant président Duterte avait formulé des menaces expéditives à l’encontre de la direction du groupe : “Si vous pensez que la licence sera renouvelée, je suis désolé. Je ferai en sorte de vous virer.”
En chute de sept places depuis 2017, les Philippines se situent à la 136e place sur 180 pays dans le Classement mondial de la liberté de la presse 2020 établi par RSF.