La loi 2012/016/CNT du mercredi 19 septembre 2012 relative à la Commission Electorale Nationale Indépendante, amendée et adoptée le jeudi 5 juillet 2018, résulte d’un vote par les députés de la huitième législature, en application de l’article 72 de la Constitution du vendredi 7 mai 2010.
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Mais, sa mouture adoptée nécessite un réexamen en seconde lecture à l’Assemblée Nationale. Ceci, pour éviter des sources de crises pré électorales, électorales et post électorales au sein d’une République de Guinée, déjà fortement éprouvée par de coûteuses crises entretenues à dessein.
Si pour certains, cette loi amendée serait au plus, une amélioration, au moins, un lot de consolation pour palier à la crise de confiance entre l’administration publique et les acteurs politiques en lice pour les consultations électorales, je persiste à penser le contraire en y trouvant des facteurs de risques.
Il s’y ajoute que le fait d’avoir un organe de gestion électorale à composition politique très prononcée avec des agendas partisans cachés pour obtenir une accalmie d’étape, ce n’est pas un gage de tranquillité dans une atmosphère de continuité ou d’alternance voulue entre partis politiques de la mouvance et de l’opposition.
Est-ce une solution efficace que de vouloir combler le déficit de confiance entre les acteurs politiques et l’administration, par une CENI très politique, sans se prémunir contre les rapports de force qui peuvent déteindre sur elle ?
La version amendée et adoptée de la loi qui comporte à date, 29 articles, offre très peu de points positifs (I), au regard de nombreuses sources de tensions qu’elle pourrait faire naître par le biais de ses points faibles (II), d’où la nécessité d’envisager des mesures d’anticipation pour éviter la survenue de crises aiguës dans le processus électoral (III).
I- Les points positifs :
1. Le fait de voter la loi au cours de la session des lois en s’acquittant d’un devoir parlementaire, d’épuiser l’ordre du jour et faire semblant de « satisfaire » le point n°3 de l’accord politique du 12 octobre 2016, pour créer une atmosphère de détente apparente quoiqu’éphémère entre les grandes formations politiques actuelles sur l’échiquier national.
2. La suppression de l’ancien article 21 qui mettait fin au mandat des démembrements de la CENI, à l’issue de la proclamation des résultats des élections en raison des implications financières. Cela créait le dysfonctionnement de l’Institution électorale à la base en période non électorale, tout en entraînant la fuite de cerveaux en quête d’un nouvel emploi décent et garanti.
- Les points faibles associés aux facteurs de risques :
Pour importante qu’elle puisse être perçue en l’état, dans peu de milieux juridiques et politiques, la loi amendée reste lacunaire avec une teneur porteuse de tensions accrues à bien des égards.
1. Aux articles 6 et 8, le nombre élevé de membres désignés par les partis politiques, rend la CENI trop politique à 82,35% contre 80% dans l’ancienne loi y afférente. Cette manœuvre trompe la vigilance en diminuant le nombre de 25 à 17, tout en augmentant subtilement le nombre de politiques. Sans commune mesure, l’emphase a été portée sur une CENI plus politique.
2. Les politiques désignés appelés à être « indépendants » dans les textes, seront en proie à un dilemme cornélien entre le respect de leur « serment » en rompant avec le parti politique et leur attachement politique déguisé en œuvrant pour le retour de l’ascenseur.
3. L’accord politique a été manifestement violé dans sa lettre et son esprit. La violation du point N°3 de l’Accord politique dont la violation est souvent signalée par les acteurs politiques. Cette fois, c’est une entente pour sa violation sans la moindre dénonciation de la part des principales parties prenantes. Preuve de la préférence trop prononcée pour le consensus au détriment de la loi en faisant du consensus dans le consensus. Un modus vivendi d’un genre nouveau qui porte de la marque de fabrique des ténors politiques.
4. Le renforcement des critères exclusifs par l’introduction du seuil bloquant fixé à deux (2 sur 114 députés) soit 2,28% à l’Assemblée Nationale pour qu’un parti politique puisse désigner un membre à la CENI. Consacrant ainsi le quasi-monopole des grandes formations politiques en excluant tout parti politique ayant un seul député grâce à la répartition découlant du système du plus fort reste, au scrutin de liste nationale à la représentation proportionnelle.
5. L’imprécision de la durée du mandat des démembrements.
6. L’introduction d’une clause de sauvegarde de 3 mois de salaire à la fin du mandat pour seulement les 17 Commissaires et l’exclusion des démembrements, toujours mal servis à cause d’une crainte injustifiée de charges financières. « Une élection n’a pas de prix, elle a un coût ».
7. A l’article 18, le maintien de la fragilité juridique du Président de la CENI par la possibilité du renouvellement partiel ou total du Bureau en cours de mandat par le vote à la majorité simple de 8 Commissaires sur 17, sur convocation d’une plénière à la demande des ¾, soit un nombre de 12 sur 17 et le tour est joué. A supposer que la classe politique soit en pleine campagne pour les présidentielles ou entre deux tours, elle donnera lieu à une crise et le record du non-respect des délais légaux sera irrémédiablement pulvérisé. Cela pourrait constituer une cause de vulnérabilité accrue du Président de la CENI et du dysfonctionnement institutionnel sur fond de prises de positions clivantes.
8. L’omission de la précision du bénéfice de l’immunité de juridiction pour que les membres de la CENI qui commettraient des délits et crimes soient justiciables devant la Cour Suprême à l’instar des membres de beaucoup d’Institutions constitutionnelles.
9. La tendance répétée aux relents calculateurs à faire privilégier les intérêts des partis politiques enrobés dans des artifices juridiques contre ceux du pays quand bien même, le législateur n’a d’ordre à recevoir de personne, tant il vrai que tout mandat impératif est nul en République de Guinée, sur le fondement de l’article 70 de la Constitution.
10. L’amorce déguisée d’une hostilité déclarée contre la pluralité politique, toute chose contraire à l’article 154 de la Constitution qui fait de la multiplication de partis politiques, une intangibilité constitutionnelle. Faut-il rappeler que si un parti politique n’est pas trop implanté, il appartient au Ministre de l’Administration du Territoire qui lui donne l’agrément, de faire respecter la charte des partis politiques et à l’électorat de montrer le poids réel dudit parti politique, pourvu que le scrutin soit libre, sincère et transparent entre les candidats en lice. Il ne s’agit pas de faire un procès d’intention à l’encontre d’un parti politique en prétextant de son poids faible, mais de faire respecter la charte y afférente.
Il y a lieu d’envisager des solutions légales appropriées à titre préventif, pour consolider la paix.
- Approches de solutions :
1. Il sera salvateur que la Cour Constitutionnelle, dans son impérium et à bon droit, refuse de donner son brevet de constitutionnalité à ladite loi en l’état, au regard de ses points d’inégalité, d’incohérence, de sources conflictuelles, pour permettre son adoption en seconde lecture.
La Cour constitutionnelle pourra trancher par son Arrêt qui s’imposera à tous, sans qu’aucun camp politique ne soit accusé de quoique ce soit, par qui que ce soit, dans le strict respect du principe constitutionnel de la séparation et de l’équilibre des pouvoirs.
2. Au Président de l’Assemblée Nationale et à l’ensemble des députés avec le respect dû à leur titre, de bien vouloir doter notre pays d’une administration électorale technique permanente, à l’abri des calculs politiques au risque d’engager leur part de responsabilité en cas de survenance des crises du fait de cette loi en l’état. Il s’agira de bien vouloir mettre la Session budgétaire à profit pour adopter la loi sur la CENI technique, revoir la loi électorale, car si le député est présenté aux élections législatives par un parti politique en vertu de l’article 3 de la Constitution, pour autant, il n’est pas le représentant d’un parti politique, il est le représentant du peuple qui l’observe très bien.
NB : En matière de révision des lois électorales, l’article 2 du Protocole A/SP1/12/01 de CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance dispose qu’ « aucune réforme substantielle de la loi électorale ne doit intervenir dans les six (6) mois précédant les élections, sans le consentement d’une large majorité des acteurs politiques ».
Or, les acteurs ont majoritairement convenu d’une CENI plus technique et éprouvent tous, l’idée d’une révision indispensable de la loi électorale qui est pleine de faiblesses.
3. Au gouvernement de privilégier l’application des lois de la République à toutes et à tous en montrant l’exemple.
Puis, à bien vouloir préparer la partie réglementaire de la loi électorale pour avoir un véritable Code électoral complet, à défaut de faire en la matière, une codification à droit constant.
4. A toutes les Institutions constitutionnelles de jouer leur rôle, la République étant déjà trop éprouvée par des crises cycliques pourtant évitables, qui ralentissent son développement.
5. Aux partis politiques d’œuvrer pour le respect des lois qui s’appliquent erga omnes (à l’égard de tous) en lieu et place des accords politiques qui à s’appliquent erga omnes partes (à l’égard des parties prenantes), au risque qu’ils soient victimes de l’effet boomerang.
6. Aux citoyens de faire preuve de lucidité en respectant et en exigeant le respect des lois.
Bref, il y a lieu de revoir cette loi en seconde lecture pour éviter de faire essuyer à la CENI, des revers et difficultés dans sa mission qui auront un impact direct sur le climat sociopolitique.
Pour le moment, la source de création de la CENI est constitutionnelle (art. 132 et suivants) et la justification de sa mise en place résulte de la crise de confiance entre les acteurs politiques et l’administration publique et entre les acteurs politiques. Il serait mieux que l’organe de gestion des élections soit technique avec une définition du profil de ses membres et appliquer strictement les lois de la République.
Si cette loi telle qu’adoptée en l’état, venait à bénéficier du brevet de constitutionnalité de la Cour constitutionnelle en ouvrant droit à sa promulgation, elle risque de créer plus de problèmes qu’elle en résolve. Il serait salvateur de la revoir pendant qu’il est encore grand temps.
Admettons volontiers avec Jean MONNET que si : « Rien n’est possible sans les Hommes, rien n’est durable sans les institutions ». (Hommes : hommes et femmes).
La Haye, le 18 juillet 2018.
Mohamed CAMARA, Juriste, chargé de cours de droit.