Par Tierno Siradiou Bah Introduction / Le Monde publie un article de Christophe Châtelet intitulé “En Guinée, la percée wahhabite bouleverse les équilibres religieux” http://www.lemonde.fr/…/en-guinee-la-percee-wahhabite-avanc…
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Depuis l’arrivée d’Alpha Condé au pouvoir certains journaux parisiens, y compris Jeune Afrique, multiplient les reportages et les publireportages sur la Guinée. On se souvient ainsi d’un autre papier sensationnel en 2015 dans Le Monde « Avec les gangs de ‘l’Axe’, mercenaires politiques de Conakry » sous la plume de Joan Tilouine.
http://www.lemonde.fr/…/avec-les-gangs-de-l-axe-mercenaires…
L’optique est la même : on met l’accent sur les tensions, les frictions et la violence, sur le négatif. On néglige le quelque rare positif, ou les problèmes réels du pays. C’est une recette connue pour vendre davantage d’exemplaires.
Cette fois-ci, Le Monde a mis le cap sur Labé pour y chercher des poux sur la tête des fidèles et du clergé musulmans de la ville. Mais l’article est parsemé d’erreurs historiques. Il souffre de généralisations abusives. Et il expose des points de vue superficiels.
Erreurs
1. D’emblée, l’article parle de la “confrérie soufie des tidjanes”. Il est plus exact de dire que la tijaniyya est un ordre religieux, qui contient des confréries. Ces dernières peuvent diverger sur des questions de leadership, des points du culte, etc. Par exemple, dans les années 1940, il y eut la sérieuse querelle tijaniyya entre omariens orthodoxes (ou du chapelet à douze-grains) et hamallistes (ou du chapelet à onze-grains).
2. L’auteur identifie la “confrérie soufie des tidjanes”. Il est exagéré d’attribuer le qualificatif sufi à toute une confrérie. D’abord parce que le sufisme n’est pas l’apanage des tijaniyya. Bien au contraire, il représente “le cœur spirituel de la tradition islamique”. Ensuite parce que c’est le mysticisme, commun aux religions abrahamiques (Judaïsme, Christianisme, Islam).
En Islam, quelle que soit la tradition (sunni, chi’ia), le rite ou école (Hanafi, Shafi’ite, Malikite, Hanbalite), l’ordre (shazaliyya, qadriyaa, tijaniyya, etc.), le soufisme est toujours présent, mais en filigrane et à titre exceptionnel. Car tout musulman n’est pas suffi. Bien au contraire, seuls les croyants capables de mener la difficile quête, la tension du corps, de l’esprit et de l’âme vers Allah, peuvent être des sufis. Ils renoncent aux des biens et privilèges terrestres ; ils vivent dans la piété, la prière, la simplicité, etc.
Au 19e-début 20è siècles les grandes paroisses du Fuuta-Jalon pratiquaient le mysticisme à travers les veillées mystiques (jarooje – jaroore au singulier.) dans les mosquées. Et de grands sufi (ou waliyyu) ont émergé et dirigé ces manifestations intenses de la foi.
3. L »auteur présente le wahhabisme comme un “islam rigoriste émanant des pays du golfe Arabo-Persique”. En réalité, le wahhabisme est un phénomène saoudien. Il ne couvre pas tout le Golfe Arabo-Persique.
4. La position des bras et des mains (le long du corps ou croisés sur la poitrine) est caractéristique, certes. Mais elle n’est pas la seule distinction entre malékites et wahhabites.
5. L’article indique correctement que le MALÉKISME inclut la TIJANIYYA. Mais l’auteur n’établit pas la même relation pour le WAHHABISME, qui fait partie du HANBALISME.
Cela dit, le croisement des mains existe au Fuuta-Jalon depuis longtemps, par exemple chez les Qadriyya Jakanke de Labé (Paraya), dans leur ex-métropole de Touba, etc.
Histoire et politique
1. Christophe Châtelot parle de “Labé ancienne capitale du défunt royaume théocratique du Fouta-Djalon”. Non, Labé était certes la plus grande province des neuf provinces du Fuuta-Jalon théocratique, mais la capitale confédérale était Timbo et en même temps une province à part entière. Les sept provinces étaient : Fugumba, Keebali, Buriya, Kollaaɗe, Koyin, Foduyee-Hajji, Timbi.
2. Un informant du nom d’Alimou Barry déclare péremptoirement : « Ici, dans le Fouta-Djalon, explique-t-il, survit un système de castes au sein de la communauté peule dont tu peux difficilement sortir. » Le journaliste et lui-même auraient dû illustrer un tel propos. Sinon, il ne rime à rien pour le lecteur distant. La même source prétend que le wahhabisme est “nouvelle science leur offre cette possibilité en les accueillant dans une communauté plus égalitaire.” Là également, il aurait fallu démontrer.
3. La conclusion de M. Barry est tout à fait inventée et erronée. Il affirme : « Chez les tidjanes, seuls les nobles dirigent les prières. » Il devrait étudier la formation théologique et la hiérarchie interne tijaniyya. Les relations entre disciple et maître sont essentiellement scolastiques et méritoires. Elles dépouillées de considérations de rang et de caste.
4. L’article passe sous silence la période coloniale française. Et le nom de la France n’est même pas mentionné. C’est dommage, car le journaliste aurait dû se rendre à la Bibliothèque nationale à Paris pour y éplucher l’ouvrage de Paul Marty, L’Islam en Guinée : Fouta-Djallon. Publié en 1921, il reste indispensable à toute enquête ou étude sur l’Islam dans cette terre que Gilbert Vieillard appela adéquatement en 1937 le « Dar al-Islam » (Porte de l’Islam), en Afrique de l’Ouest, c’est-à-dire.
5. L’article glisse des insinuations sur deux personnalités principales de la ville : l’imam (Elhadj Tierno Badrou) et le préfet (M. Safioulaye Bah). Le journaliste commet au sujet de ce dernier une double erreur ; (a) il l’appelle gouverneur (b) il restreint son domaine de responsabilité à la ville. En réalité, Safioulaye couvre toute la PREFECTURE de Labé. Et au-dessus de lui, il y a le gouverneur de la REGION de Labé. La ville proprement dite est dirigée par le maire.
Christophe Châtelet affirme : « Jusqu’à récemment, la famille d’Al-Hadj Badourou Bah régnait sans partage sur la ville… La famille Bah s’est probablement endormie sur ses lauriers. » Tout cela c’est du verbiage. J’en parle en tant que cousin aîné des deux personnalités. Et je tiens à rappeler ici l’hécatombe et la décapitation de cette famille sous la dictature de Sékou Touré.
Généralisation abusive
L’article se base sur une seule petite mosquée du quartier Tata 1 de Labé, avoisinant l’aéroport vétuste et abandonné de la ville.
Cela n’empêche pas Christophe Châtelet de titrer son article comme si le contenu s’appliquait à tout le Fuuta-Jalon et à toute la Guinée. Il aurait pu tenir compte du fait que (a) Labé ne se réduit pas à Tata 1 (b) le Fuuta-Jalon ne se ramène pas à Labé ! (c) en plus du Fuuta, la Guinée comprend trois autres régions.
Quand l’histoire se répète
Sans le savoir apparemment, les groupes wahhabites présentés ici répètent un peu l’histoire du Fuuta-Jalon. Au 19è siècle la même tension avait opposé les arabisants (Shaykh Umar Taal et alliés) et nationalistes (Tierno Sadu Dalen, Tierno Muhammadu Samba Mombeya, et leurs successeurs, Tierno Aliyyu Buuɓa Ndiyan, Shayku Luda Dalaba, Tierno Ibrahima Kompanya, Tierno Jaawo Pellel, Ramatulaahi Teliko, Tierno Abdourahmane, etc.) Le conflit portait sur la question de la langue de vulgarisation de l’Islam. Fallait-il utiliser l’arabe ou le Pular pour propager la parole d’Allah et le message du Prophète Muhammad ? L’histoire a tranché et donné raison aux seconds, dont la philosophies consignée dans Oogirde Malal en ces termes :
Sabu neɗɗo ko haala mu’um newotoo
nde o fahminiraab ko wi’aa to ƴi’al.
Yoga Fulɓe no tunnda ko jannginiraa
Arabiyya oc lutta e sikkitagold.
Traduction
Je citerai les Authentiques en langue pular
pour t’en faciliter la compréhension et l’acceptation.
A chacun, en effet, seule sa langue permet
de saisir ce que disent les Authentiques.
Alfâ Ibrâhîm Sow a magistralement résumé la contribution de la génération de Tierno Samba et de leurs successeurs, lorsqu’il écrivit en 1971 :
« Si le Filon du bonheur éternel (Oogirde Malal) continue, cent cinquante ans après sa rédaction, à émouvoir les lecteurs de notre pays, c’est surtout à cause de la vocation littéraire qu’il assure au pular-fulfulde, à cause de sa versification juste, sûre et élégante, de sa langue saine, savante et subtile, de la volonté nationale d’affirmation culturelle qu’il incarne et du désir d’autonomie et de dignité linguistiques qu’il exprime. »
Aujourd’hui, les wahabbistes voudraient donc récidiver en répétant les erreurs du passé. Ils cherchent à confisquer l’Islam à leur profit à travers l’arabité. Malheureusement pour eux, il ne suffit pas de baragouiner l’arabe pour être érudit. Il faut comprendre assez la religion pour savoir la vulgariser dans les langues locales.
Orientalisme, panarabisme, colonialisme culturel
Les wahhabites du Fuuta-Jalon se comportent comme de vulgaires agents de l’orientalisme (jadis esclavagiste) et du panarabisme religieusement dominateur mais politiquement divisé. D’où le propos naïf et cupide de leur porte-parole, Diallo Al-Hamdou : « Les Arabes ont de l’argent. » Une fois de plus, tous les Arabes ne sont pas wahhabites, loin s’en faut.… Ici, il apparaît qu’Al-Hamdou et ses congénères souffrent de la même aliénation culturelle et mentale que l’impérialisme européen imposa jadis aux diplômés de l’école coloniale dans ses possessions territoriales d’Afrique et d’Asie. Les effets de ce lavage de cerveaux continuent leur ravage. Il est aggravé par l’échec de l’Afrique post-coloniale matérialisé par les vagues d’assaut de migrants généralement peu scolarisés sur l’Europe.
Al-Hamdou avoue être un alcoolique reconverti. C’est louable. Mais il mesure aussi son “succès” par l’argent reçu d’Arabie Saoudite. Ce qui lui a permis de prendre une seconde femme “voilée, en plus de la première qui ne l’est pas.” C’est pathétique !
L’habit ne fait pas le moine, et le voile ne garantit pas la piété islamique. Les femmes fulbés n’ont pas besoin de s’habiller à l’orientale pour pratiquer leur religion et étoffer leur foi musulmane.
Les wahhabites copient aveuglément des coutumes étrangères. C’est facile. Mais qu’ils sachent que l’Islam fuutanien est ancien. Et qu’ils ne peuvent pas altérer cette profonde et riche tradition spirituelle. Leur activisme n’est ni spirituel, ni émancipateur. Il est politicien et mystificateur. Comme l’a remarqué Alpha Mamadou Cellou Diallo, un des interlocuteurs de Christophe Châtelet, les wahhabites propagent « une culture de la médiocrité ».
Soutenue de l’extérieur mais incapable de s’enraciner, leur activité pourrait bien n’être qu’une tempête dans une calebasse d’eau.
Tierno Siradiou Bah