Lettre Ouverte-Monsieur le Ministre Tibou Kamara, Je prends la liberté de vous écrire au sujet de votre déclaration publiée, le 3 août 2017 sur les sites internet et réseaux sociaux. Vous ne dites pas expressément que c’est en réaction à la convocation à comparaître que le pool de juges d’instruction vous a adressée que cette déclaration a été faite avec une publicité outrancière. Mais quand on y lit: “Si l’on veut mon témoignage, je le souhaite public, pour la vérité, pour la postérité, surtout que je n’ai rien à cacher et je ne me sens concerné en rien ni de près ni de loin par les faits. Je ne suis associé en rien à cette page sombre de l’histoire récente de la Guinée.
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Et ce n’est certainement pas la volonté ou l’humeur de quelqu’un ou des rancœurs exprimées parfois dans la presse par des procureurs improvisés et mal intentionnés ou des politiques sans éthique ou portés à violer leur obligation de réserve qui y changeront quelque chose”, on comprend aisément que vous exprimez votre refus de comparaître comme témoin. Ce refus devient explicite quand on lit, d’une part, le titre de votre déclaration par lequel vous affirmez ‘‘’Je ne suis pas témoin, ni acteur’’ et, d’autre part, la condition que vous posez en ces termes: ‘’Si l’on veut mon témoignage, je le souhaite public, pour la vérité, pour la postérité, surtout que je n’ai rien à cacher et je ne me sens concerné en rien ni de près ni de loin par les faits. Je ne suis associé en rien à cette page sombre de l’histoire récente de la Guinée’’. Convoqué comme témoin, vous réagissez comme un suspect, alors qu’il était simple d’aller dire et démontrer que vous n’en savez rien, ou peutêtre peu de choses. Que redoutez-vous ? Je voudrais humblement attirer votre attention sur l’alinéa 1er de l’article 22 de la Constitution guinéenne qui dispose, je cite : ‘’Chaque citoyen a le devoir de se conformer à la Constitution, aux lois et aux règlements’’. Ne pensez-vous pas, Monsieur le Ministre d’Etat, que l’expression de votre ire d’avoir été convoqué pour témoigner frise une sorte de mépris pour l’institution judiciaire et des hommes qui l’animent? C’est un témoignage qui vous a été demandé en vertu des alinéas 3 et 4 de l’Article 9 de la constitution de la République de Guinée, dont vous vous prévalez d’être le citoyen, et cerise sur le gâteau, vous y êtes Ministre d’Etat, citation : ‘’Toute personne accusée d’un acte délictueux est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d’une procédure conforme à la loi. Tous ont droit à un procès juste et équitable, dans lequel le droit de se défendre est garanti’’.
Je voudrais souligner que vous avez reçu une convocation ou une citation à comparaître vous demandant de témoigner parce que vous auriez personnellement connaissance de faits qui font l’objet de cause en justice ou parce que vous êtes présumé ou supposé les connaître ou encore parce qu’il est apparu, dans le déroulement de l’instruction judiciaire, que vous pouvez apporter un éclairage. Subséquemment, c’est parce que vous êtes présumé ou supposé pouvoir jouer un rôle essentiel pour la manifestation de la vérité, qu’il est de votre devoir de citoyen d’in
former le tribunal sur ce que sauriez ou êtes présumé ou supposé connaître, afin que justice soit faite. Trouvez-vous que ce serait un déshonneur pour un homme au rang social aussi élevé vôtre de témoigner dans une affaire d’une telle envergure? De l’obligation de témoigner
Comme vous pourrez le déduire des dispositions de la Constitution mentionnées plus haut, l’obligation de témoigner est un devoir général du citoyen. Le code pénal punit l’inexécution de cette obligation en ces termes: ‘’Article 721 : Le fait, pour quiconque connaissant la preuve de l’innocence d’une personne détenue provisoirement ou jugée pour crime ou délit, de s’abstenir volontairement d’en apporter aussitôt le témoignage aux autorités judiciaires ou administratives est puni d’un emprisonnement de 1 à 3 ans et d’une amende de 500.000 à 5.000.000 de francs guinéens ou de l’une de ces deux peines seulement’’. M. Berenger écrivait en 1818 De la justice criminelle en France, d’après les lois permanentes, p. 453 “L’audition des témoins est la part la plus importante des procédures judiciaires, puisque c’est elle et elle seule qui doit former la conviction des jurés. Un mot obtenu d’un témoin au-delà ou au-deçà de la vérité peut avoir les plus fatales conséquences ”. C’est pourquoi, toute personne qui détient des informations utiles à la
manifestation de la vérité sur une affaire pénale peut être appelée à témoigner. Jean-Christophe Grangé, dans son ouvrage Les rivières pourpres, écrit : ‘’Dans un enquête, chaque fait, chaque témoin est un miroir dans lequel se reflète une des vérités du crime’’. Il s’ensuit qu’un témoin s’entend de toute personne, soit qui a assisté à un événement déterminé, soit qui peut certifier quelque chose d’important sur l’existence ou l’accomplissement de faits intéressant une enquête, donc qui a vu ou entendu de manière significative pour reconstituer
tout ou partie des faits expliquant l’événement dont il est question. Monsieur le Ministre d’Etat, quand vous dites : ‘’Si l’on veut mon témoignage, je le souhaite public, pour la vérité, pour la postérité, surtout que je n’ai rien à cacher et je ne me sens concerné en rien ni de près ni de loin par les faits’’, je voudrais que vous m’ôtiez d’un doute : mesurez-vous la portée de l’attitude que vous prenez à l’égard de l’innocent ou de la victime dont la situation ou le droit dépend d’un mot de votre part? Que vous veniez ou pas ne cause aucun dommage personnel au juge. C’est le droit de cet innocent ou de cette victime qui subira les conséquences de votre refus de témoigner, entendu que le juge dispose du moyen légal de vous obliger à comparaître devant lui, malgré votre statut de Ministre. Vous portez le titre de Ministre, mais vous n’êtes pas membre du gouvernement, ce sont les membres du gouvernement qui jouissent du privilège de juridiction de l’article 118 de la Constitution, dont la bonne lecture pourrait aider à observer certaines bornes. La procédure suivie pour vous faire parvenir la convocation a été observée par respect pour son Excellence Monsieur le Président de la République qui vous a élevé, non à la fonction, mais au titre de Ministre. Titre et droit ne doivent pas être confondus. Vous mentionnez, citation: “Je reconnais à chacun le droit légitime de me haïr, mais person
ne n’a le pouvoir, que ce soit à travers la justice ou les médias, de m’accuser pour le plaisir de le faire ou de me juger pour des faits que j’ignore. Je vous annonce qu’en droit processuel, la personne citée comme témoin ne doit pas savoir, en principe, sur quel sujet porte son audition. Elle n’a pas à connaître les questions à l’avance, ni à préparer les réponses. Dans la phase d’instruction préparatoire, le témoin est entendu et non interrogé. Il parle librement, sauf à donner des précisions ou des éclaircissements. Vous souvenez-vous de la maxime “Nul n’est censé ignorer la loi ” ? Elle signifie que ce qui est su doit l’être de chacun, tandis que ce qui régit s’adresse à tous. Alors, je rappelle les dispositions du code de procédure pénale: “Article 8 : Hormis les cas où la loi en dispose autrement, la procédure suivie au cours de l’enquête et de l’instruction est secrète.Toute personne concourant à cette procédure est tenue au secret professionnel dans les conditions et sous les peines de l’article 367 du Code pénal. Toutefois, afin d’éviter la propagation d’informations parcellaires ou inexactes ou pour mettre fin à un trouble à l’ordre public, le procureur de la République peut, d’office ou à la demande de la juridiction d’instruction ou des parties, rendre publics des éléments objectifs tirés de la procédure ne comportant aucune appréciation sur le bienfondé des charges retenues contre les personnes mises en cause”. Je ne doute pas, en raison de la large et brillante culture qui vous est reconnue, que vous saviez tout cela, mais les étiquettes qui vous sont octroyées vous suggèrent une condescendance méprisante pour les hommes de robe. Votre désir d’étaler ostentatoirement au grand jour votre dédaigneuse perception de la Justice vous fait dire avec morgue: “…. Alors ce n’est pas devant la justice où je n’ai rien à faire qu’il faudrait m’inviter, mais devant l’opinion qu’il faudra prendre à témoin dans un débat public ou un procès ouvert à tous ”. Mais vous oubliez que vous devriez venir devant le juge dans la phase de l’instruction. Or, comme je vous l’ai fait remarquer plus haut, l’article 8 du Code de procédure indique : “ la procédure suivie au cours de l’enquête et de l’instruction est secrète ”. Tout ce qui s’y passe est hors débat public, mais apparemment, la forte inclination de toujours à plier la loi à la volonté des détenteurs d’une quelconque parcelle de puissance vous fait croire que vous pouvez changer les règles fixées par la loi. Ce ne sont pas seulement les magistrats qui subissent le ton d’insolence qui empreint vos propos, mais également ceux qui font la loi, celle-ci n’étant
pas la volonté du juge, mais celle du législateur. Vous dites: “Je suis un habitué de toutes les cabales auxquelles j’ai aussi toujours survécu par la grâce de Dieu… ” Lesquelles ? Les vôtres ou celles de ceux qui vous haïssent ? Qui est l’auteur, qui sont les auteurs ? Vous ne nommez personne. Pour quelqu’un qui veut débattre et prendre l’opinion à témoin, une telle façon de procéder a-t-elle, si petite soit-elle, une teinte de courage? Dans la même période que vous, des personnes aussi haut placées ont été appelés à témoigner, elles s’y sont prêtées sans faux-fuyant, sans restriction mentale, en toute dignité et humilité, dans le respect de l’Etat de droit. Elles en sont sorties grandies, inspirant à ceux qui les ont entendues le respect qu’elles se reconnaissent à elles-mêmes. Auriez-vous l’obligeance de révéler de qui vous parlez, quand vous arguez : “ …. Des rancœurs exprimées parfois dans la presse par des procureurs improvisés et mal intentionnés ou des politiques sans éthique ou portés à violer leur obligation de réservequi y changeront quelque chose. Souffrez, Monsieur le Ministre Tibou Kamara, que je m’insurge contre votre assertion : “ Seulement, ce n’est pas parce que ce sont les hommes qui rendent la justice qu’ils doivent finir par croire qu’ils sont euxmêmes la justice” Quand un juge, digne de ce nom, qui a prêté le serment de sa profession, ne peut croire qu’il est lui-même la justice, qu’il porte et incarne, dans sa personne et ses postures, les vertus de probité et de noblesse qui caractérisent la justice, dans l’acception la plus élevée, alors il doit démissionner. Cette lettre, qui n’exprime pour l’instant que mon opinion personnelle, m’a été inspirée par les nombreux messages reçus des magistrats de l’intérieur qui se sentent outrés par vos propos. Je vais, en tant que président, à leur demande, réunir l’Association des Magistrats, pour recueillir l’opinion majoritaire sur la position commune à adopter concernant cette injure dont notre corps est encore l’objet. Nous sommes d’humbles pères et mères de famille qui n’ont que la prétention d’être dignes de respect. Il nous est intolérable de subir brocards, dérision outrageuse et déconsidération. Notre silence n’est pas dû à la peur mais à un désir d’apaisement, ce qui est le vœu de la loi à l’autorité de laquelle le magistrat est soumis. Au fond, vous avez raison quand vous dites, citant Camus :La bêtise persiste toujours”.
Mohamed Aly Thiam Président de l’Association des Magistrats