Ainsi donc tu t’es tiré ! C’est vraiment pas une façon de nous lâcher. Comme un petit voleur qui se faufile dans la complicité de nos nuits sans électricité. Là, à notre barbe et à notre nez. Sérieux, pourquoi t’as fait ça avec cette désinvolture qui nous a désarçonné ?
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Tu pourrais essayer de me fourguer ta convaincante petite vérité. Essaie un peu qu’on voie. T’aurais pu négocier avec cet ange aux idées tranchées. Peut-être aurais-tu réussi à lui faire gober que l’échéance soit reportée. Peut-être aurait-il ri d’un de tes calembours dont toi seul as le secret. Peut-être aurais-tu pu profiter de cet instant décontracté pour te barrer. Tromper la mort n’est pas chose aisée. Tout autant que faire rire de notre enfer quotidien n’est pas une affaire pliée. Mais si t’as réussie des années à nous faire danser les zygomatiques serrées, y a pas de raison que t’arrives pas à faire kouuyé avec un ange de la mort avec de multiples âmes à zigouiller. Alors, t’aurais pu user de ton esprit élevé pour féconder d’un subterfuge pour te volatiliser entre deux rires crispés de l’ange sans pitié.
Mais pourquoi je me laisse autant submerger par un questionnement sans intérêt ? Parce qu’au bout du compte bien ou mal conté, aucune de tes paroles ne réussira à justifier ton départ anticipé. Ah cette façon que t’as eu de nous fausser compagnie ne saurait être pardonnée. Trop prématuré. Trop pressé. Trop hâtivement rappelé. Avec toi qui t’es trop précocement jeté dans la fausse aux branches mal coupées, on vient d’avoir la preuve par mille que c’est bien toujours les meilleurs qui s’en vont les premiers. Dans notre pays traumatisé, le sens de cette phrase est toujours incroyablement célébré. Tous les jours où notre destin est fouetté, c’est à ceux qui sont nos fervents défenseurs que l’ange de la mort décide son dévolu. La liste de ces esprits libres et éclairés au fil du temps s’est allongée. Alors que ceux qui nous mettent à quatre pattes sur le macadam échaudé continuent à nous enfiler, sans que le glaive du destin ne se résolve à nous débarrasser de ces saletés. T’es parti à ton tour avec ta part de liberté. Comme Williams Sassine, avant toi, s’était tiré. Comme Amadou s’était éclipsé. Comme Sambry Sacko de Bokoro s’était dérobé. Comme Ahmed Tidjani Cissé nous avait scié. Tous, vous êtes partis sans vous retourner. Honte sur vous éminents devanciers. Oui, t’as bien pigé. Je défèque ma grosse colère sur toi et ta chasteté et sur tous les autres qui nous ont lâché. Dans ce pays où chaque jour nous ne survivons que par la seule force des sourires que vous nous inoculiez. A travers vos plumes débridées, votre inspiration détachée, votre regard décalé, vous nous arrachiez, le temps d’un rêve vite consommé, consumé, à une réalité qui n’a de cesse de nous châtier. Vous faites vraiment chier. Exactement, j’écris tel que je l’ai pensé, parce que tu ne seras pas là pour me corriger. Passer mes délires à la scie-sauteuse de ton stylo carré dont t’étais toujours armé. A moi de me lâcher sur cette Chronique Assassine où nous avions notre rendez-vous quasi hebdomadairement calé.
Dis-moi qui osera poser son derrière sur ta chaise branlante dans la rédaction du carnassier ? Oui, j’ai bien derrière et j’ai bien fait. Pour te provoquer. Tu vas faire quoi à présent, vieux sages à l’éventail ridé ? Que vas-tu faire pour que mes mots crus soient édulcorés. Ta sagesse pour mon esprit tordu, crachant mes tranchantes crues pour une réalité drue n’est finalement pas sentence d’éternité. Mais, si cette satanée provocation t’étais lancée, peut-être que ton orgueil sera-t-il sonné. Peut-être t’énerveras-tu et tu décideras de retourner. On verra que tout ceci n’est en fait qu’une sale blague que tu nous as fourguée. On en rigolera de nos dents pourries et jaunies de pauvreté. Tu nous sortiras un de tes accrocheurs titres à la fonction poétique jalousée. Oui, quand on est amoureux des mots bien cuisinés, on ne peut que t’envier, que te représenter en modèle adulé. Et ceux qui t’ont côtoyé l’ont bien assimilé. Alors, dans l’humilité, tous, de toi nous avons appris cette gymnastique de dérision fondée. Rire comme la satire en est la fée. Caricaturer pour mieux accepter la dureté de la réalité. Rire de l’autre et de soi-même pour construire avec le lecteur cet espace de complicité, de proximité, parce que le réel n’offre que douleur et déshumanité. Et toi t’avais le secret avec les mots de virevolter, de tourbillonner, de nous amuser, même quand le sujet ne prêtait pas à se moquer.
Ainsi donc tu t’es tiré. Et nous n’avons pas d’autre choix que d’accepter. Et pleurer. Et frissonner. Et hurler. Et ruminer notre douleur à laquelle on devrait désormais s’habituer. En attendant, Houleymane (pseudonyme dont tu m’avais affublé, en associant mon prénom et celui de mon épouse bien aimée) te demande pardon. Pardon de n’avoir pas été là pour te soutenir pendant cette période où t’étais alité. Pardon de ne pas être là pour porter ton corps de combattant de la liberté, pour t’accompagner et jeter une poignée de poussière dans ta tombe rassasié. Pardon de ne pas être aux côtés de tous les « lynxeurs » pour te pleurer. Ainsi le destin en a décidé. Par-dessus, pardon, oh oui pardon d’être de ce pays qui essore tous ces grands hommes de la manière la plus éhontée. Par les ténèbres de la douleur qui nous étreint dans la passivité, je maudis ce jour de 14 juin qui t’a arraché. Et par la lumière de Celui qui décida de te rappeler, je prie qu’au paradis une lumineuse demeure te soit réservée. Haslta la vista, dady KAA !
Soulay Thiâ’nguel