Dans ce qui a tous les contours d’une blague de très mauvais goût, Jean-Sébastien Jacques, le tout nouveau CEO de la compagnie anglo-australienne, a confirmé ce que beaucoup d’analystes miniers avaient prévu : la volonté délibérée de geler le Simandou Sud, au grand dam de l’Etat guinéen.
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« Les conditions du marché du fer sont claires – il y a une surproduction sur le marché. Donc au vu du caractère capitalistique du projet et eu égard aux conditions actuelles du marché, les signaux ne sont pas favorables de notre point de vue », a déclaré mine de rien Jacques devant un reporter du journal « The Times » incrédule. L’entretien a été rendu public le lundi 4 Juillet.
« Nous avons été très clairs que c’est un projet très couteux. Il y a quelques semaines, nous avons livré les études de faisabilité bancables au gouvernement et nous avons été clairs que dans le contexte actuel du marché, nous ne voyons pas la voie à suivre par rapport à Simandou », a ajouté le successeur de Sam Walsh.
« Ce n’est pas le moment pour Rio de développer un tel projet. Les autres parties prenantes peuvent avoir différents points de vue à ce sujet », a-t-il finalement lâché, un brin cynique.
En quelques phrases, le nouveau CEO de Rio Tinto a donc bouleversé bien des espoirs. Le projet annoncé comme une opportunité exceptionnelle pour le pays est passé en l’espace d’une interview du rêve au cauchemar, comme si le temps s’était arrêté, laissant orphelins la Société financière internationale (SFI), Chinalco et l’Etat guinéen. Pourtant, plusieurs signaux auraient pu laisser deviner un tel dénouement, en dépit des faux fuyants utilisés par le géant minier depuis 1997. Nous y reviendrons plus loin…
Les principaux obstacles à la réalisation du projet Simandou
Quelques difficultés empêchent la réalisation du projet tenu à bout de bras par Simfer SA (Rio Tinto, 46,6%, Chinalco, 41,3%, SFI, 4,6%, Etat guinéen, 7,5%) dans des délais souhaités par les autorités guinéennes. Il y a d’abord l’obstacle des infrastructures d’évacuation et en premier celui du « Transguinéen », à savoir cette ligne de chemin de fer devant relier la zone du Simandou (Beyla-Kérouané) à la côte, distante d’environ 650 km. Les autorités, de bonne guerre, ont insisté sur son aménagement là où les investisseurs miniers faisaient la grimace. Dans l’entendement de ces derniers, les surcoûts générés par l’aménagement du chemin de fer augmentaient le coût de production par tonne, ce qui constituerait un avantage indéniable pour d’éventuels concurrents.
Au « Transguinéen » s’ajoute la nécessité d’aménager une autre infrastructure importante : le port en eau profonde de Forecariah censé accueillir des gros navires.
L’obstacle du chemin de fer est d’ailleurs le principal argument brandi par les compagnies minières qui ont mis sur la table l’option du passage par le Liberia où les infrastructures reliées au port de Buchanan offrent des possibilités. De leur point de vue, cette proposition comprenait deux avantages : éviter les surcoûts liés à la construction du chemin de fer et avoir l’accès à un port en eau profonde, capable d’accueillir des bateaux minéraliers de grande capacité pour amoindrir les coûts du transport.
La seconde difficulté est celle liée aux conditions actuelles du marché, même si pour les experts du secteur, ce prétexte ne saurait être valable dans la mesure où un secteur comme celui du fer obéit à des cycles. Car dans les faits, cet écueil est venu rattraper le projet en cours de route car les prix mondiaux affichaient environ 187 dollars USD en février 2011, avant de dégringoler à moins de 40 dollars USD en décembre 2015. Pourquoi Rio Tinto, présent en Guinée depuis 19 ans, n’a jamais pu exporter le moindre gramme de fer quand les conditions étaient « favorables »? Pourquoi la décision de mettre en veilleuse le projet est prise aujourd’hui ? Ces points peuvent être éclaircis en levant un coin du voile sur l’itinéraire de Rio Tinto en Guinée…
La saga d’une compagnie au parcours atypique
Tout commence le 20 février 1997, quand la junior RTZ Mining and Exploration a présenté une demande de 4 permis miniers dans la zone du Simandou. Cinq jours plus tard, les permis de recherche sollicités sont octroyés par le ministère des mines : ils couvrent une zone s’étalant sur une superficie de 1460,97 km2 pour une durée de validité de 3 ans.
Dès le 16 février 2000, Rio Tinto sort la tête du bois (visiblement, RTZ Mining lui appartenait) pour négocier le renouvellement des permis miniers. Pour la première fois, la demande est adressée au nom du groupe Rio Tinto, à travers sa société de droit guinéen, Simfer SA qu’elle détenait à l’époque à 100%.
Au mois de Mai de la même année, le géant minier obtient le renouvellement de ses permis mais, suivant le plan de rétrocession – la loi guinéenne oblige les compagnies à rendre à l’Etat la moitié des surfaces jugées « économiquement exploitables » -, la surface des permis est réduite à 736 km2. De l’avis d’un juriste expert du secteur minier, cette première rétrocession n’avait respecté ni les dispositions de la loi (qui exige que la surface totale soit divisée en deux et de façon asymétrique), ni l’exigence de fournir les résultats des recherches entreprises sur le terrain.
Le 21 Mai 2002, un projet de convention de base est élaboré. Dans son sillage, Rio Tinto adresse à l’administration minière une demande de… prorogation de ses permis. Selon nos sources, le géant minier recevra l’accord de prorogation des permis en sa possession « par simple lettre pour une durée indéterminée » le 29 Mai, une date qui coïncidait à l’expiration du délai de validité de ses titres miniers.
Toujours d’après nos sources, le 7 Octobre 2002, la seconde demande de renouvellement est faite mais elle comporte un hic : contrairement aux exigences administratives, aucun plan de rétrocession n’y est indiqué ; Rio Tinto arguant qu’elle devait poursuivre une série de travaux afin d’améliorer ses connaissances du terrain avant de procéder à une seconde rétrocession. Le renouvellement des permis sera entériné le 16 Octobre…
Cette étape donnait une indication de ce qui se passera plus tard : le 26 novembre 2002, la convention de base est signée avant même la date d’échéance des permis miniers et le dépôt des études de faisabilité du projet. Conséquence de ce premier acte : la Guinée se liait solidement au géant de l’industrie minière. Les autres étapes vont suivre, toutes plus forcées les unes que les autres.
Dès le 6 avril 2005, une proposition du… ministère des mines présentait à Rio Tinto des options pour une éventuelle concession minière. Ce document sera suivi d’une lettre de la compagnie présentant ses arguments pour obtenir ladite concession. Cette lettre du géant minier va d’ailleurs être suivie d’une autre, rédigée suite aux modifications apportées par une commission mise en place par le ministère des mines et de la géologie. Ainsi dès 30 Mars 2006, une concession minière est accordée à Rio Tinto sans que la compagnie ne fasse une seconde rétrocession, encore moins déposer les études de faisabilité (Décret N° D/2006/008/PRG/SGG).
Ce sont ces différentes failles contenues dans les différents actes officiels pris en faveur du géant minier qui ont servi de base au décret du 28 Juillet 2008 rapportant le décret accordant précédemment une concession sur les 4 blocs du Simandou (Décret N° D/2008/041/PRG/SGG), avant que n’entre en scène BSGR. Rio Tinto va se retrouver avec le « statut » de simple détenteur de permis de recherches après la décision du gouvernement de lui retirer 2 des 4 blocs du Simandou. Dans la foulée du retrait des blocs 1 et 2 de la concession de Rio Tinto (qui a conservé des droits sur les blocs 3 et4), la Compagnie de Benny Steinmetz va acquérir les précieux permis de recherche. Cette évolution des droits dans le Simandou explique en grande partie ce qui se passe aujourd’hui. Car la pilule a été dure à avaler pour tous les dirigeants qui se sont succédé à la tête de la compagnie anglo-australienne. Ont-ils cherché à le faire payer à la Guinée ? Allez savoir !
Rio Tinto n’a jamais digéré le retrait des blocs 1 et 2 de son contrôle
Après l’installation de BSGR sur des terres qu’elle croyait « conquises », Rio Tinto va manœuvrer vainement pour tenter récupérer les blocs 1 et 2. A son grand désarroi, elle s’est heurtée à la seule constante qui a animé les différents régimes qui ont gouverné la Guinée entre 1997 et 2016 : le maintien de la moitié du Simandou hors de portée de Rio Tinto, en dépit des pressions de toutes parts. Voici une anecdote…
Après la signature de l’accord transactionnel d’un montant de 700 millions de dollars USD, censé régler définitivement tout contentieux avec l’Etat guinéen, lors d’un dîner auquel nous avons été conviés à la table des principaux dirigeants de Rio Tinto (à l’époque Tom Albanese et Sam Walsh, à l’époque respectivement CEO et CEO adjoint de la compagnie), nous avons pu mesurer la détermination du géant anglo-australien à ne pas se prononcer clairement sur un éventuel abandon des blocs disputés (même si dans les faits la décision était irrévocable). A la faveur du dialogue, nous avons demandé sans détours à Albanese si après cet accord transactionnel Rio Tinto avait renoncé définitivement à réclamer les blocs 1 et 2 à l’Etat guinéen. Pour toute réponse, nous avons eu droit à des propos qui n’avaient absolument rien à voir avec notre question. « Nous travaillons pour que notre projet aille de l’avant » ! avait dit en substance le CEO de Rio Tinto esquivant totalement tout détail concernant les blocs réclamés. Au cours de cette rencontre, aussi loufoque que semblait l’hypothèse, Rio Tinto a défendu l’idée d’évacuer le minerai de fer par camions via un corridor aménagé entre Beyla et Forecariah !
Au sujet des blocs 1 et 2, ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les mauvaises langues ont vu la main de Rio Tinto derrière les déboires du couple BSGR-Vale (VBG) dont la réputation a été malmenée à la fois par les enquêteurs du FBI, les tribunaux et la presse. Voyant BSGR affaiblie, la compagnie anglo-australienne a tenté d’enfoncer le clou en attaquant la compagnie de Steinmetz au niveau de la justice américaine pour réparer le « préjudice » subi par le retrait de la moitié de la concession initiale obtenue en 2006, arguant qu’il y avait eu corruption (ce que BSGR a toujours nié), mais elle a perdu le procès.
Depuis 2010, plusieurs alertes auraient dû susciter la vigilance du gouvernement : l’annulation en 2012 de 600 millions USD d’investissements initialement prévus dans le projet Simandou Sud ; l’annonce d’un montant quelque peu hallucinant de 3 milliards de dollars USD « investis dans le projet » (source : Les Echos du 28 Mai 2014) qui semble sans commune mesure avec les réalisations concrètes sur le terrain ; Au moins 6 milliards USD investis en Mongolie et en Australie au moment où une partie du personnel local en Guinée craignait un licenciement ; enfin des études de faisabilité déposées au moment même où on sentait un relâchement de la part de Rio Tinto dans le pilotage du projet. A cela s’ajoute le fait que pendant une période, Rio Tinto était consciente que la Guinée ne parviendra jamais à lever d’un coup les 51% du montant nécessaire à l’aménagement des infrastructures (plus de 5 milliards USD), en dépit du volontarisme affiché par les autorités ; la Guinée voulant à l’époque être majoritaire dans le contrôle des infrastructures sans en avoir réellement les moyens. Cette option va d’ailleurs être abandonnée lors des négociations suivantes avant d’être définitivement enterrée au moment de la signature du Cadre d’investissement en 2014. En regardant de plus près le texte censé baliser les derniers écueils qui se dressaient contre le projet Simandou, on se rend compte finalement que le Cadre d’investissement a seulement permis à Rio Tinto de ne plus être seul responsable dans l’action de mobilisation des investisseurs intéressés éventuellement par le projet…
Après l’annonce (surprise ?) du report de ses plans sur le Simandou Sud, faite hier, les autorités guinéennes, qui ont longtemps compté sur ce projet stratégique, ont réagi en rappelant à Rio Tinto ses obligations.
« En mai 2014, Rio Tinto a pris, dans le cadre de son rôle de leader dans Simfer pour le développement du projet Simandou Sud, des engagements qui portaient notamment sur la réalisation de l’étude de faisabilité bancable et la constitution du consortium des infrastructures. A date, le Consortium des infrastructures n’a pas encore été présenté à l’Etat Guinéen, contrairement aux accords. La société Rio Tinto demeure donc liée par ces engagements pris au sein de Simfer S.A », a déclaré le ministère des mines. Un bras de fer en perspective ? Tout porte à le croire car la décision du géant minier ne sera pas sans conséquences sociales en Guinée…
Quoi qu’il en soit, si Rio Tinto maintient sa position (et nous doutons qu’elle change d’avis), la seule option alternative – certes provisoire mais crédible – pour le gouvernement serait d’encourager les compagnies juniors. Compte tenu de la nécessité d’entrer rapidement en exploitation, ces dernières sont dans l’obligation de respecter tous les termes des accords passés avec les pays d’accueil. Cette option aurait d’ailleurs l’avantage non seulement de permettre de placer le minerai de fer guinéen sur le marché mondial mais également de donner l’opportunité aux ouvriers locaux d’acquérir dans un cadre certes limité (car il ne s’agit pas de mines de classe mondiale !) un savoir faire qui pourrait être précieux pour l’avenir. Car dans la perspective de l’exploitation des minerais dans les pays pauvres et faibles, compter sur les géants miniers pour développer des projets pharaoniques de dizaines de milliards de dollars USD (environ 20 milliards USD pour Simandou Sud, selon les chiffres rendus publics lors de la signature du cadre d’investissement), alors que les infrastructures et les ressources humaines sont très insuffisantes, semble extrêmement risqué pour des pays qui n’ont pas le temps d’attendre. Bref, depuis le début, l’erreur a été de croire que l’agenda des majors de l’industrie minière est le même que celui de nos Etats sans ressources, cherchant leur voie dans un monde ô combien cruel où quelques riches privilégiés présents au conseil d’administration d’une grande multinationale peuvent dicter leurs lois impitoyables…
Par Saliou SAMB