Philippe Douste-Blazy : « Deux milliards de personnes n’ont pas accès aux médicaments. C’est une honte ! »

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Aujourd’hui secrétaire général adjoint de l’ONU et président d’Unitaid, l’ancien ministre français Philippe Douste-Blazy brigue la direction de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Il expose ici les grandes lignes de son programme.

 

Cardiologue et ancien ministre UMP de la Santé puis des Affaires étrangères, Philippe Douste-Blazy brigue la direction de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en remplacement de la Chinoise Margaret Chan, qui quittera son poste en mai 2017. Actuellement secrétaire général adjoint de l’ONU chargé des financements innovants du développement et président d’Unitaid (l’organisation internationale d’achat de médicaments), il propose que l’OMS privilégie la mise en place de services de santé de base dans les pays défavorisés.

Jeune Afrique : L’OMS a-t-elle réagi trop tardivement à l’épidémie d’Ebola ?

Philippe Douste-Blazy : L’OMS est une organisation très respectée, mais il lui faut tirer la leçon d’Ebola : la communauté internationale n’est pas prête à affronter une crise sanitaire de grande ampleur. C’est pourquoi nous soutenons le projet de sa directrice générale de mettre en place un système de réponse rapide, dans les jours qui suivent l’apparition d’une épidémie. Il faudra aussi imaginer comment l’OMS peut aider les pays en développement, en particulier en Afrique, à mettre en place des services de santé de base.

Pourquoi de tels services ?

Dans ces pays, mieux vaut dépenser de l’argent pour des dispensaires, des centres de diagnostic et pour améliorer l’accès aux médicaments que pour bâtir un CHU. C’est moins prestigieux, mais ça s’appelle la santé publique.

Quand, en 2006, j’ai créé Unitaid, il y avait 3,5 millions d’enfants atteints du sida, dont 96 % en Afrique subsaharienne. Et seuls 20 000 d’entre eux étaient soignés. Comme il n’y a pas d’enfants atteints du sida dans les pays riches, les laboratoires pharmaceutiques en ont conclu que le marché était inexistant. Grâce à une taxe minime prélevée sur les billets d’avion dans une douzaine de pays, Unitaid a développé, avec le concours de l’indien Cipla, des médicaments pédiatriques contre cette maladie. Résultat : 100 000 enfants supplémentaires sont soignés chaque année.

Vous le voyez, ce n’est pas l’ancien ministre français de la Santé qui brigue la direction de l’OMS, mais un homme de terrain, qui a travaillé sur des problèmes auxquels les populations d’Afrique sont quotidiennement confrontées.

À quoi bon un Observatoire des inégalités ?

Il existe déjà, mais je propose de le renforcer. C’est pourquoi j’ai intitulé mon programme : « Tous les êtres humains devraient être égaux devant la santé ». Quelle honte que 2 milliards de personnes n’aient pas accès aux médicaments ! Si le directeur de l’OMS ne le dit pas, qui le dira ?

J’ai 63 ans. Ma carrière a été mi-politique, mi-médicale. Je me sens prêt pour une fonction qui allie ces deux volets afin de défendre les pauvres.

La grande difficulté tient à l’insuffisance des budgets de la santé. Un seul exemple : les sommes consacrées à l’armement atteignent 1 780 milliards de dollars par an, quand le budget de l’OMS plafonne à 2 milliards par an.

Si vous êtes élu, rechercherez-vous des financements innovants du type Unitaid ?

L’OMS y pense déjà. L’un de ses rapports montre que si l’on prélevait sur chaque paquet de cigarettes 1 centime de dollar dans les pays pauvres, 3 dans les pays de moyen revenu et 5 dans les pays du G20, on pourrait collecter 8,5 milliards par an.

Que signifient les termes innovative spendings, que vous utilisez pour prôner une réduction des coûts sanitaires ?

Si un chercheur français ou américain découvre une molécule efficace, le nouveau médicament, forcément cher, sera disponible dans les dix ans à Clermont-Ferrand ou à Seattle. À Bamako ou à Addis-Abeba, il faudra attendre vingt ans, car des brevets protègent ce médicament afin d’assurer une bonne rémunération à son fabricant.

Avec Unitaid, nous avons dit aux laboratoires que leurs brevets ne servent pas à grand-chose dans les pays pauvres puisqu’ils n’y vendent rien. Nous leur avons donc suggéré de consentir à ces pays des licences 98 % moins chères que dans les pays riches. Au début, ils nous ont proprement éconduits. Aujourd’hui, les plus grands labos jouent le jeu. Pour la première fois de l’Histoire, le pauvre a la possibilité d’acheter à bas prix le même médicament, et le même jour, que le riche !

Pourquoi pauvreté et maladie marchent-elles ensemble ?

C’est un cercle vicieux. La pauvreté entraîne un manque de soins, car les populations défavorisées choisissent de nourrir leur progéniture avant de se soigner. Dans toutes les cultures, c’est pareil : le pain passe avant la santé. Et quand il compte beaucoup de pauvres, un État n’a pas les moyens d’améliorer son système de santé, car il a peu de recettes et beaucoup de demandes.

Il y a quinze ans, à Abuja, il avait été décidé que le budget public de santé devait représenter 15 % du budget général d’un pays. On en est loi

Que pensez-vous de votre concurrent, l’Éthiopien Tedros Adhanom Ghebreyesus ?

Je respecte mon collègue et concurrent. Mais, depuis dix ans, ce n’est pas pour mon pays que j’ai contribué à faire baisser de 60 % à 80 % le prix des médicaments contre le sida, la tuberculose ou le paludisme, mais pour tous les pays en développement. Et en particulier pour l’Afrique.

J’ajoute qu’il est important qu’à l’OMS on parle l’anglais et le français. L’omniprésence du premier est telle que je connais des représentants de pays francophones qui ne viennent plus dans ces réunions parce qu’ils ne comprennent pas ce qui s’y dit.

Ne serait-ce pas à un Africain de diriger l’OMS ?

La question a été posée au comité exécutif, et la réponse a été unanime : après Ebola, il faut à l’OMS le meilleur directeur général, quelle que soit sa nationalité. J’ai eu le plaisir de constater que de nombreux pays africains, pas seulement francophones, soutiennent ma candidature.

N’y a-t-il pas de conflit d’intérêts entre votre présidence d’Unitaid et votre candidature à l’OMS ?

À Unitaid, je passe le témoin le 23 juin à Celso Amorim, l’ancien ministre brésilien des Affaires étrangères, et je suis ravi de l’arrivée d’un homme d’une telle envergure. J’ajoute que je n’ai jamais été rémunéré pour mes fonctions à la tête de l’organisation. Je gagne ma vie comme professeur à l’université Paris-VII et comme visiting professor à Harvard.

Je n’ai jamais présenté la moindre note de frais. Seuls mes transports sont pris en charge. Je suis fier que les frais généraux d’Unitaid ne dépassent pas 8 % de son budget total. Dans le monde des organisations internationales, c’est, il me semble, un record.

Ancien ministre de droite, vous êtes soutenu par l’actuel chef de l’État. Quelle sera votre position lors de l’élection présidentielle de 2017 ?

J’ai la chance que le président de la République soutienne ma candidature à l’OMS, et je l’en remercie. La France sait dépasser les clivages partisans quand il s’agit de défendre son rôle dans le monde. Je n’en dirai pas plus.

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