Ainsi donc Ali Bongo n’a pas été élu ! Ainsi donc, sa présence à la tête de l’Etat gabonais est parfaitement illégitime ! Votre révélation à l’émission « On n’est pas couché », est une première, Monsieur Valls. Une première qui nous réjouit, une première qui nous frustre.
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Elle nous réjouit parce qu’enfin, les miasmes de la Françafrique débordent des taudis de Conakry et de Libreville pour empester jusque sous les lambris de Matignon. Parce qu’enfin, un homme d’Etat français en exercice ose évoquer le nec plus ultra des sujets tabous : celui des financements occultes et des élections truquées
Elle nous frustre parce que c’est trop peu et peut-être trop tard. Parce que d’ores et déjà, vos collaborateurs se confondent en excuses et en circonlocutions comme à chaque fois que les petits dictateurs gâtés d’Afrique se sentent égratignés par leurs protecteurs parisiens. …Parce que dans quelques jours, les effusions spectaculaires et les baratins au champagne auront gommé les susceptibilités et remis tout ce beau monde dans ses bonnes vieilles habitudes.
C’est peu mais c’est déjà un début même s’il est dû à la « fatigue » (vos propres services de presse) même s’il tombe du haut d’un lapsus linguae.
Monsieur Ali Bongo n’est pas un cas isolé et vous le savez bien, Monsieur le Premier Ministre oui, vous le savez bien ! Les élections régulières en Afrique (dans l’aire francophone tout au moins), se comptent sur le bout des doigts. Peut-être le Bénin. Peut-être le Sénégal. Peut-être le Mali et le Burkina. Personne ne nous fera croire qu’Alpha Condé, Sassou Nguesso, Faure Eyadéma et compagnie ont été élus à la régulière.
Alors, de grâce, Monsieur le Premier Ministre, ouvrez davantage la bouche, continuez, continuez ! Vous avez commencé une œuvre de salubrité publique, allez donc jusqu’au bout ! Il est temps, grand temps de nettoyer les écuries d’Augias ! Il est temps de se regarder en face et de se dire le langage de la vérité.
Les liens entre la France et l’Afrique ont survécu aux vicissitudes de l’Histoire. Des deux côtés, on ne compte plus les couples mixtes et les binationaux. Il y a aujourd’hui en France des Peuls et des Mandingues qui n’ont jamais mis les pieds en Afrique et en Afrique, des blonds aux yeux bleus qui ne comprennent plus rien à la neige. Yousouf N’Dour et Alpha Blondy sont les grandes vedettes de la télévision française et en 2016, la langue française est dix fois plus parlée en Afrique qu’au temps colonial.
Tant- mieux, tant mieux ! Ce sont les rencontres et les brassages qui nous éloigneront des démons du passé.
Hélas, ces liens multiples et féconds, ce riche patrimoine en gestation a été infecté dès le début. Un petit club mafieux a réussi à le privatiser en détournant à son profit exclusif et les minerais d’Afrique et les institutions de la République française. Il y a des décennies que cela dure et curieusement, cela n’alerte personne : ni la conscience des hommes politiques, ni le talent des journalistes ni la vigilance des citoyens.
Décidément, le « machin » du père Foccart a la vie dure ! Nous avions pensé un moment que l’arrivée de la gauche au pouvoir aurait changé les choses. Que l’Afrique aurait eu enfin droit au respect, c’est-à-dire à une coopération d’Etat à Etat fondée, non plus sur le copinage et l’arnaque, mais sur le sacro-saint principe de la transparence. Hélas, mille fois hélas ! Les socialistes, avec une rapidité déconcertante, ont chaussé les vieilles pantoufles de leurs prédécesseurs comme si elles avaient été faites à la mesure de leurs pieds.
Pauvre Jaurès ! Pauvre Blum !
La gauche et la droite, c’est bonnet blanc et blanc bonnet dès qu’il s’agit des Nègres ! La classe politique française tout entière se révèle incapable de renouveler son regard sur ses anciennes colonies. Les discours passent, les Bongo et les Eyadema restent ! Les professions de foi sont, juste là pour faire avaler la pilule et les bonnes intentions, ma foi, pour paver l’enfer des en- bas- de- en- bas.
L’année 2016 ressemble heure par heure à celles des années Foccart. Une seule chose a changé, peut-être : les élections truquées remplacent progressivement les assassinats et les putschs.
Et pour moi, l’élection truquée est sans aucun doute, la forme la plus lâche, la plus perverse, la plus insupportable du terrorisme.
« Un homme, une voix ! », disait Mandela. Violer ce principe, c’est violer le genre humain tout entier !
Tierno Monénembo