Difficile de rester fidèle à ses idéaux démocratiques avec l’exercice du pouvoir. Alpha Condé avait pourtant tout d’un démocrate: un intellectuel, militant socialiste, enseignant à l’université. Pourchassé par le régime autoritaire de Sekou Touré, il a longtemps vécu en exil avant d’être élu triomphalement sur un champ de ruines en 2010, un an seulement après le massacre du stade de Conakry (157 morts). En France, Alpha Condé est apprécié par son «ami» François Hollande.
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A la loge René-Cassin (Grande Loge de France), ses «frères» louent ses qualités intellectuelles. Le Président guinéen est toujours à jour de cotisation -ce qui n’est pas le cas par exemple de l’ancien ministre de la Coopération Alain Joyandet. Lorsque nous le rencontrons à quelques jours du scrutin, Alpha Condé est vêtu d’un élégant costume blanc à manches courtes, il parle calmement à voie basse et paraît préoccupé. Son pays qui se remet à peine de l’épidémie Ebola pourrait replonger dans la violence, c’est du moins ce que craignent les observateurs occidentaux qui vont œuvrer pour qu’il soit réélu vite et «bien».
Courant septembre, le chef de l’opposition Cellou Dalein Diallo dénonce des fraudes et conteste les fichiers électoraux. Selon l’ancien Premier ministre, des centaines de milliers de mineurs auraient été enrôlés sur les listes en Haute-Guinée et il y aurait ailleurs des centaines de milliers de doublons. Les sept candidats de l’opposition s’unissent et exigent un report du scrutin. La Ceni, l’organe indépendant –une «indépendance» contestée par l’opposition- prend acte mais refuse de repousser la date fixée au 11 octobre. Le jour du scrutin, l’Union des Forces démocratiques de Guinée de Dalein Diallo a placé un délégué dans chaque bureau de vote. «A Banankoro, tous nos militants ont été menacés et chassés», nous explique un proche. Dalein Diallo dénonce les manœuvres pour empêcher ses partisans de se rendre aux urnes. En Moyenne-Guinée, de nombreux bureaux de vote restent fermés. Celui où vote l’opposante Marie-Madeleine Dioubaté reste ouvert, mais cette dernière n’y a pas recueilli une seule voie pour elle ! A Kankan, en revanche, des observateurs de l’opposition prétendent que certains électeurs font la tournée des bureaux, votant jusqu’à huit fois dans la journée. Dès le lendemain du scrutin, les sept candidats en lice contre le président sortant se réunissent pour annoncer qu’ils ne reconnaitront pas les résultats de ce qu’il appelle une «mascarade». La mission de l’Union Européenne menée par le député européen Frank Engel chargée d’observer le scrutin n’a pu couvrir que 2.6% des bureaux de vote. Elle n’y a constaté aucune irrégularité et le député Engel livre un rapport positif sans engouement.
L’AMBASSADEUR DE FRANCE PASSE UN SAVON AU CHEF DE L’OPPOSITION
Dalein Diallo ne décolère pas. Lui qui a été ministre pendant dix ans joue sa carrière sur cette élection. Le site Mondafrique rapporte qu’en cas de défaite, son remplacement à la tête l’UDFG par son vice-président et rival Amadou Oury Bah est prévu. Une information démentie par des proches. Diallo hésite à lancer un appel à manifester, qui pourrait provoquer des violences entre Peuls (son ethnie) et les Malinkés. L’ambassadeur de France l’aurait appelé pour lui passer un savon. Bertrand Cochery lui aurait reproché de s’être adressé à des militants dans la langue Peul pour attiser les clivages ethniques. «Quelle langue voulez-vous que je parle si je m’adresse à des Peuls qui ne parlent pas français?», aurait répondu l’ancien ministre, outré. «Je suis quelqu’un de responsable, le jour où j’appellerai à manifester, ne vous en faites pas, je l’assumerai!»
En visite à la cellule diplomatique de l’Elysée, l’ancien ministre avait déjà subi une certaine «agressivité» de la part de la conseillère Afrique de François Hollande, Hélène Le Gal. Logiquement, la France qui soutient très officiellement le président candidat préfère écouter les partisans d’Alpha Condé qui se félicitent de la «participation massive» et accusent Dalein Diallo d’en faire trop. Dans la rue, le climat est explosif, de nombreux militaires ont été déployés dans la capitale. Le gouverneur de Conakry interdit toute manifestation de joie ou de colère.
HUIT MORTS, TUÉS PAR BALLE
L’ONG Human Rights Watch qui avait salué «des progrès vers le processus démocratique» d’Alpha Condé, critiquait dans son rapport de 2015 «l’insuffisance des progrès en matière de renforcement du système judiciaire et une corruption endémique». En mai et juin dernier, l’Ong fustigeait les violences dans la banlieue de Conakry par les forces faisant 2 morts et 146 blessés en dix jours, dont 37 blessés par balles. Ces élections-là auront fait 8 victimes. Photos à l’appui, un conseiller de l’opposition prétend qu’ils ont été tués par balle dans la tête ou la poitrine. «Ils n’ont pas fait de provocation, à chaque fois ce sont des forces de l’ordre qui apparaissent tuer et disparaissent.» Tous seraient Peuls et militants de l’Ufdg. Le 8 octobre, Yagouba Diallo, 22 ans, chauffeur aurait été abattu d’une balle dans la tête ; le 9, Mamadou Moudeen Bah battu à mort par la police et le 13, Ibrahima Sorry Coulibaly, menuisier de 20 ans, exécuté d’une balle dans la tête. Ces drames porteraient à 67, le nombre de morts dans les rangs de l’opposition depuis 2013. Un bilan lourd qui fatalement commence à abimer l’image de démocrate du président et par extension de son «parrain» François Hollande.
FRANÇOIS DE LABARRE (Paris match)