Les forces de sécurité ont tué au moins trois personnes – deux en leur tirant dans le dos et une en la battant à mort – à Conakry, la capitale guinéenne, lors d’échauffourées liées à l’élection présidentielle, a révélé Amnesty International jeudi 22 octobre.
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Par ailleurs, des affrontements entre sympathisants de partis rivaux ont fait trois morts et au moins 80 blessés dans la même ville. Dans le reste du pays, au moins sept personnes ont perdu la vie dans les mêmes circonstances. Les homicides ont eu lieu entre les 8 et 13 octobre, soit en pleine période électorale. Les résultats du scrutin présidentiel sont contestés et des élections locales doivent se tenir en 2016, ce qui fait craindre que de nouvelles manifestations ne donnent lieu à d’autres décès, à moins que les forces de sécurité ne fassent preuve de retenue et que les agents soupçonnés d’avoir tiré sur des civils ne soient traduits en justice et jugés équitablement par des tribunaux civils de droit commun.
« Des éléments démontrent que des agents des forces de sécurité guinéennes ont tué ou blessé des civils sans arme. Rien ne peut justifier d’avoir tiré sur ces personnes ni de ne pas engager la responsabilité pénale des auteurs présumés des coups de feu, a déclaré François Patuel, spécialiste de l’Afrique de l’Ouest à Amnesty International, qui se trouve actuellement à Conakry.
« Tant que les autorités toléreront que les forces de sécurité fassent usage d’armes à feu contre la population, il sera impossible d’instaurer un climat de confiance et de mettre fin aux violences électorales récurrentes en Guinée. »
Les quartiers où les victimes habitaient ont été le théâtre de manifestations autour de la date de l’élection et, lors de rassemblements de ce type, il arrive souvent que la foule jette des pierres aux forces de sécurité. Cependant, des témoins oculaires et des proches des personnes tuées par les forces de sécurité ont indiqué à Amnesty International que ces personnes n’avaient pas pris part aux violences et n’étaient pas armées.
Parmi les victimes figurent un chauffeur de 24 ans ; des gendarmes lui ont tiré dans le dos alors qu’il marchait en direction du domicile de son frère. Six policiers ont matraqué à mort un étudiant de vingt 20 ans. Un gendarme a aussi abattu un charpentier de 20 ans d’une balle dans le dos alors qu’il s’enfuyait par une ruelle ; son corps a été abandonné sur un tas d’ordures.
Un témoin ayant assisté aux coups de feu a déclaré à Amnesty International :
« C’était le 13 octobre, vers minuit. Nous discutions près de l’atelier où nos amis travaillaient. Un pick-up de la gendarmerie est arrivé dans la rue et sept gendarmes armés de fusils en sont sortis en trombe. Il y avait eu des affrontements violents dans notre quartier ce jour-là, alors nous avons pris peur et nous sommes partis en courant. Ils ont tiré sur nous et touché notre ami au dos. Nous l’avons retrouvé dans sur un tas d’ordures le lendemain matin. »
Amnesty International a recensé plus de 80 blessés pris en charge dans des centres de santé de Conakry à la suite des violences liées à l’élection présidentielle. Des délégués de l’organisation ont rencontré huit personnes blessées par les forces de sécurité, dont sept par balle. Il s’agissait notamment de trois amis, âgés de 17 à 21 ans, sur qui des gendarmes avaient tiré à Sonfonia Gare 2 le 10 octobre. Les délégués d’Amnesty International ont découvert sur les lieux des douilles de munitions réelles correspondant aux armes des forces de sécurité.
L’une des victimes a fait le récit suivant :
« Nous étions à l’école coranique lorsque nous avons entendu une femme crier dans la rue. Nous sommes sortis pour voir ce qui se passait. Il y avait des pick-up de la gendarmerie et de la police. Des agents démontaient les barricades dressées sur la route. Un gendarme nous a visés. Apeurés, nous avons essayé de retourner dans l’école. J’ai été touché au bras et deux de mes amis l’ont été au genou et dans le bas du dos où la balle est toujours. Un autre jeune a été abattu en bas de la rue. »
Par ailleurs, des témoins ont indiqué à Amnesty International que plusieurs policiers et gendarmes avaient participé au pillage du supermarché Koumi, près de Médina, après qu’il avait été attaqué par des hommes portant des t-shirts de campagne les 8 et 9 octobre. Ils avaient mis à sac un restaurant et incendié des voitures, des boutiques et des générateurs.
Une nouvelle loi a pourtant été adoptée en juin afin de mieux encadrer le recours à la force et aux armes à feu par les forces de sécurité guinéennes et de limiter les violences liées aux élections. Plus de 350 personnes ont trouvé la mort dans des circonstances liées à des élections au cours des 10 dernières années ; six ont ainsi été tuées lors de manifestations organisées en avril et mai 2015 mais aucun agent des forces de sécurité n’a été inculpé pour l’instant.
Dans un rapport publié en septembre, Amnesty International estimait que la loi en question représentait une avancée, tout en mettant en évidence les déficiences considérables qui compromettraient son efficacité. En outre, ce texte ne protège pas suffisamment le droit de manifester pacifiquement.
« Une nouvelle loi visant à endiguer le recours à une force excessive et meurtrière par les forces de sécurité ne peut être efficace que si elle est à la fois renforcée et appliquée de manière stricte, a déclaré François Patuel.
« Les forces de sécurité doivent non seulement être dotées des ressources nécessaires et formées comme il se doit pour respecter les droits humains, mais aussi être amenées à rendre des comptes devant des tribunaux civils en cas de manquement. Les agents soupçonnés d’avoir tué des personnes sans arme à Conakry au début du mois d’octobre doivent en subir les conséquences. »
Complément d’information
L’élection présidentielle guinéenne s’est tenue le 11 octobre. La Commission électorale nationale indépendante a annoncé les résultats provisoires, indiquant qu’Alpha Condé avait été réélu au premier tour. Les sept autres candidats ont contesté ces résultats.
En septembre, Amnesty International a publié un rapport dans lequel elle révélait que six personnes avaient été tuées en avril et mai 2015 lors d’échauffourées liées à l’élection et appelaient les autorités à prendre des mesures en vue de protéger la liberté d’expression et de réunion, de mettre fin à l’usage excessif de la force et des armes à feu, et de traduire en justice les responsables présumés de violations des droits humains.
Selon les informations recueillies par Amnesty International, au moins 350 personnes sont mortes et plus de 1 750 ont été blessées lors de manifestations organisées en Guinée au cours des 10 dernières années. La plupart étaient des manifestants, et parfois des passants, blessés ou tués par les forces de sécurité.
Le 2 juin, l’Assemblée nationale a adopté un texte de loi sur le maintien de l’ordre public, qui définit quand et comment il est possible d’avoir recours à la force pendant des manifestations. Bien qu’il comporte des dispositions judicieuses établissant les missions et les responsabilités des forces de sécurité guinéennes, il présente des lacunes importantes qui pourraient restreindre le droit de réunion pacifique. En effet, il n’autorise pas les rassemblements publics spontanés, tandis que les forces de sécurité sont toujours habilitées à disperser des groupes de manifestants pacifiques si elles soupçonnent ne serait-ce qu’une personne d’avoir une arme. Ces dispositions pourraient aussi servir à interdire ou à réprimer les manifestations pacifiques.