« Si les consultations électorales sont présentées comme étant le mode normal de manifestation du droit du peuple souverain dans les démocraties libérales », il faut bien admettre que dans les Etats africains, cette pratique est loin d’être une réjouissance des citoyens, elle réveille plutôt les vieux démons du communautarisme.
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Les élections en Afrique, surtout celles présidentielles, sont sources de tensions, de violences, voire de guerre entre population. Il est difficile dans le contexte africain pour les consultations électorales, de trouver un dénouement heureux eu égard, d’une part à la fragilité et aux vicissitudes que présentent les institutions en charge, d’autre part à la volonté, et à l’engagement des concurrents à remporter vaille que vaille, sans état d’âme, le scrutin avec souvent des expressions belliqueuses des partisans brouillons de part et d’autre sur fond communautaire, ethnocentriques, telles que : « ça passe ou ça casse »; « la victoire ou la mort ».
Quid des consultations présidentielles sous la première République guinéenne ?
La Guinée, pays francophone d’Afrique de l’Ouest, n’échappe pas à la règle. Ancien Etat à parti unique, la Guinée, sous la première République de 1958 à 1984, a connu des scrutins présidentiels tous remportés avec une majorité écrasante par le Parti Démocratique de Guinée (PDG) dirigé par son leader charismatique Ahmed Sékou Touré sans laisser la moindre place à d’éventuelles contestations juridiques. Encore faut-il que la notion du contentieux électoral ait été usuelle dans le jargon politico-juridique d’alors, surtout face à une opposition de façade et dans un système de parti-Etat.
La fin du régime indépendantiste et l’avènement de la démocratie pluraliste avec le régime militaire : une conversion moins spectaculaire
A la disparition du Président Ahmed Sékou Touré le 26 mars 1984, le PDG sombre dans une guéguerre de succession. Et c’est dans ce climat de décadence et d’incertitude qu’une junte dénommée Comité Militaire de Redressement National (CMRN) conduit par le colonel Lansana Conté s’empare du pouvoir le 3 avril 1984. Elle dissout le parti unique, promet l’établissement d’un régime démocratique pluraliste. On va alors assister à l’institution de la deuxième République, ce qui marque une nouvelle ère de la vie politique des ex-Rivières du sud.
C’est finalement le discours du président français François MITTERAND à la Baule en 1990 qui précipite la fin de cette transition politique inquiétante et morose. Cet épisode marque une nouvelle coopération franco-africaine fondée sur des bases morales notamment la pratique de la démocratie à travers l’adoption ou la ré-adoption du multipartisme et le respect des droits de l’Homme. Ces exigences de reforme dans le secteur politique s’analysent plutôt comme une conditionnalité de l’obtention d’aide au développement (aide inefficace) dont dépend la survie des Etats africains.
Le régime militaire guinéen, à l’instar des Etats d’Afrique concernés, n’ayant pas d’autres options, devrait alors se plier aux exigences de ce nouveau paradigme. Le CMRN, pour faire bonne impression et pour ne pas se prendre tout seul les pieds dans les lacets de ses souliers faits sur mesure, se dénommera désormais Comité Transitoire de Redressement National CTRN en acceptant en son sein l’adhésion des civils. Ainsi, le CTRN aura dans son viseur Red dot, la mise en place d’abord en 1990 d’une nouvelle Constitution (encore faut-il que celle-ci soit le reflet de la société destinataire). Et par un cortège de lois organiques, il va introduire la Cour suprême, proclamer les idéaux de la démocratie et des droits de l’homme, la Charte des Partis politiques sera adoptée ainsi que le code électoral. Cette effervescence législative, se débouchera, on aura compris, sur la première consultation électorale pluraliste avec la participation d’une quarantaine de partis politiques en 1993. Sans surprise, le président du CTRN Lansana Conté s’est qualifié au second tour contre l’opposant historique et l’actuel président de la République le Professeur Alpha Condé. Mais CONTE, avait dans la tour d’ivoire de sa conscience intime qu’il serait élu président de la République sans crier gare. Toutefois, il s’agissait d’un secret de polichinelle, qui fut révélé par la Cour suprême en lui déclarant vainqueur de ce duel. Pour certains observateurs, toutes ces garanties textuelles à vocation électoraliste n’étaient qu’un trompe l’œil. Cette confrontation électorale dédaignait le principe d’égalité des armes des deux candidats au second tour. Le vainqueur était accusé de manque de loyauté, étant sous couvert des privilèges de l’appareil administratif. Ce qui pourrait être considéré comme une trahison des urnes (Maligui SOUMAH, Guinée : la démocratie sans le peuple).
Ce premier test électoral multipartiste était alors caractérisé par un manque de transparence de la part du gouvernement. Ce qui malheureusement, aura un effet de contagion sur les consultations présidentielles postérieurs notamment celle de 1998, de 2003, et de 2010, avec pour corollaire l’engendrement d’une culture de violences monstrueuses interethniques frôlant in extremis souvent au conflit civil. Ces compétitions nationales se déroulaient en violation aussi bien des textes nationaux c’est-à-dire l’article 32 et suivant de la Constitution et le chapitre 5 du code électoral, que des textes internationaux notamment les principes fondamentaux portant sur les élections : suffrage universel, égal, libre, secret et direct. Ces dits principes étant proclamés explicitement ou implicitement par des instruments juridiques internationaux tels que le Pacte international relatif au droit civil et politique (PIDCP), la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH), la Charte africaine de la démocratie des élections et de la gouvernance, la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH).
Que faut-il exiger pour des élections présidentielles du 11 octobre 2015 sans tensions ethniques ou communautaires ?
Dans le cadre des élections présidentielles du 11 octobre 2015, il est plus que nécessaire de faire respecter nos législations électorales pour ne pas que des irrégularités ou fraudes n’entachent d’une part, la liberté et l’égalité des candidats ou du corps électoral, d’autre part, la crédibilité des résultats. Sans lâcher prise, notre société doit être animée d’une forte énergie permettant de mettre fin au fatalisme, au laxisme. Elle doit avoir le courage et la capacité de vaincre l’ignorance, de démonter la tartufferie profonde des politiciens et de l’appareil judiciaire pour redonner enfin aux électeurs le droit électoral qui leur sied le mieux. Elle doit par-dessus tout, exiger aux candidats de projets de société inclusifs, fédérateurs, rassembleurs. Elle doit exiger en outre le renforcement du mécanisme de règlement des litiges électoraux, en promouvant un véritable contentieux électoral pour éviter des crispations postélectorales. Et on entend par contentieux électoral, l’opération qui vise à régler les litiges mettant en cause la régularité des processus électoraux. Selon Gilles BADET, le contentieux électoral peut être défini comme l’ensemble des règles et procédures applicables aux contestations et à leur règlement en matière électorale. Pour Jean-Claude MASCLET, le contentieux électoral porte sur « les litiges qui naissent à l’occasion de l’élection ». Du point de vue de George VEDEL, le contentieux électoral dans son acception la plus vaste, désigne l’ensemble des contestations de droit auxquelles la jouissance et l’exercice du droit de suffrage, d’une part et, d’autre part, l’opération électorale peuvent donner lieu ainsi que les procédures destinées à les résoudre.
Il s’agit, somme toute, de la résolution des litiges nés des opérations électorales. Si le contentieux électoral pareil si simple dans sa définition, pourquoi dans la pratique et dans le système guinéen, sa mise en œuvre fait toujours couler beaucoup d’encre et de salive, enregistrant parfois des violences intercommunautaires inouïes ? Pourquoi l’effectivité des institutions guinéennes en charge du règlement des conflits électoraux se trouve dans la ligne de mire des acteurs politiques ? Pourquoi faut-il toujours la présence des émissaires régionaux (UA, CEDEAO,…), internationaux (ONU, UE,…) dans le cadre de nos élections ?
« Si le principe d’alternance politique est corolaire de l’existence du multipartisme et donc d’organisation d’élection (comme mode de légitimation et de dévolution du pouvoir) dans un cadre démocratique entre les formations politiques dans le but d’accession démocratique au pouvoir », il faut admettre que dans le contexte guinéen, ces acquis majeurs, ne sont demeurés vains et inefficaces. Mais, il n’y a pas de quoi s’étonner outre mesure, quand on sait l’état balbutiant, lugubre, de la démocratie guinéenne qui se trouve d’ailleurs en difficile gestation.
Quand on sait aussi la déchirure du tissu social, pour un oui ou pour un non, l’introduction et la radicalisation de l’ethnocentrisme et du communautarisme comme cheval de bataille des hommes politiques, ranimant à chaque occasion en versant de l’huile, le foyer du feu social qui dort. Ces candidats qui passent de la féerie de la campagne électorale à l’aridité du pouvoir, préférant s’enliser dans des guéguerres absurdes, tout en trainant plus bas que terre le pacte social. Ce qui donne à chaque guinéen finalement l’impression d’être une grenade dont on a arraché la goupille contre son prochain.
L’état d’avancement de la culture démocratique de notre société à travers ses institutions en charge d’élection, n’est pas tout à fait satisfaisant. On peut être animé d’un optimisme de volonté, mais la réalité sur le terrain donne un pessimisme que les élections présidentielles prévues le 11 octobre 2015 risquent de confirmer l’état bringuebalant de la démocratie guinéenne. Nonobstant des réformes récentes entreprises dans le domaine de la justice, cette institution républicaine risque encore de s’emberlificoter dans ses démarches pour vérifier des allégations à l’encontre du candidat présenté comme vainqueur dans le but de satisfaire à des besoins dont elle est la seule à connaitre les principales motivations. Or en manquant de courage, en bafouant les obligations déontologiques, de dénoncer des fraudes, ou des bourrages d’urnes, en refusant de dire le droit rien que le droit, le juge n’honore pas la justice, et remet par ricochet en cause le choix du corps électoral dont les conséquences pourraient être de faire allégeance à une personnalité non choisie par les citoyens dans leur majorité.
Evidemment ce manque de rigueur des autorités judiciaires peut donner le sentiment aux acteurs concernés de recourir à d’autres procédés peu sollicités. C’est le cas de la solution politique négociée à travers des divers arrangements politiques. C’est le cas aussi de la violence ethnique, communautaire, antithèse des procédures démocratiques.
Il faut pour le coup, que tous les acteurs concernés, les candidats, la justice, le corps électoral, se montrent plus responsables pour que les élections présidentielles du 11 octobre 2015 se déroulent dans les règles. Nous devons derechef éviter tout comportement éhonté et déshonorable pour notre chère patrie la Guinée. Evitons d’être intrépides pour des candidats souvent en manque de vision pour nous et pour notre pays. Les hommes politiques passent, les juges corrompus eux aussi, mais la Nation guinéenne elle, elle reste et demeure.
Kalil Aissata KEITA
Doctorant en Droit Public
Université de Rouen-France