La justice au secours de la Politique.L’avocat de Moussa Dadis Camara a déclaré à propos de celui-ci que » ce qui a changé, il sera entendu comme inculpé au lieu de témoin ». Ce qui a surtout changé du point de vue de l’opinion publique et sans doute de la postérité, l’officier n’est plus seulement l’accusé qu’il était dans l’affaire du 28 septembre 2009, Il est devenu l’homme à abattre et le martyr du régime de Alpha Condé.
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A cause de l’acharnement judiciaire et psychologique dont il est victime avec ses proches, depuis qu’il a décidé qu’il ne soutiendra plus un homme qui se renie sans cesse, un régime rejeté par tous les Guinéens conscients et responsables. Si Moussa Dadis Camara avait été inculpé plus tôt et en d’autres circonstances, peut-être que la justice paraîtrait moins suspecte qu’aujourd’hui ; mais l’inquiéter, après l’avoir » épargné » toutes ces années et maintenant qu’il s’est déclaré candidat à l’élection présidentielle d’octobre prochain et s’est rapproché aussi du principal challenger d’Alpha Condé, est un » flagrant délit », en matière de complot politico-judiciaire.
Oui, l’inculpation précipitée de Dadis Camara à Ouagadougou est une expédition punitive de la part d’un homme reconnu vindicatif et d’un régime connu pour être intolérant et bête. Les victimes et leurs familles, les organisations des Droits de l’Homme, les citoyens Guinéens qui cherchent la vérité et réclament justice dans la monstrueuse affaire du 28 septembre doivent s’indigner, autant d’attendre que justice soit rendue que des velléités de récupération à des fins politiques du pouvoir d’Alpha Condé de leurs justes revendications. L’affaire du 28 septembre est trop grave pour être soumise aux sautes d’humeur ou calculs électoraux d’un président en mal chronique de légitimité, il s’agit d’un drame qui concerne tous les Guinéens et qui, ne devrait » profiter » donc à un régime dont le pronostic vital est sérieusement engagé pour ne pas tomber dans les marchandages, les intrigues et l’intimidation des candidats et des électeurs. Aussi doit-il prendre fin le cycle de la peur et de la lâcheté assumées lié à des circonstances tragiques de notre histoire, pour que les Guinéens bafoués dans leurs droits recouvrent leur pleine citoyenneté, pour qu’ils disent non à la minorité qui veut faire la Loi, prétend prendre en otage tout le pays et voudrait décider du destin de chacun et de tous.
Ceux qui doutent encore que l’inculpation de Dadis Camara est la conséquence de la dégradation de ses relations personnelles avec Alpha Condé devraient regarder de plus près la chronologie des faits, la succession des événements. La FIDH a révélé que depuis Janvier, Dadis devrait être inculpé par la justice guinéenne. Le gouvernement même a eu l’air de dire qu’il y a longtemps que les magistrats devraient se rendre à Ouagadagou pour entendre l’ancien Président du CNDD. D’où la question que tout le monde est en droit de se poser et qui ressemble à un réquisitoire contre la justice de notre pays : pourquoi maintenant et pas avant ? C’est que tout ce temps, Alpha Condé, pour bénéficier du soutien précieux de Dadis Camara qui ne représenterait plus rien maintenant et comme par hasard alors que ses électeurs ont contribué à » ses victoires », a prétendu le » protéger ». Et comme, il ne peut plus compter sur Moussa Dadis Camara qui a eu l’outrecuidance de se déclarer candidat contre lui, a commis aussi le pêché de faire un pacte avec le » diable Cellou, Alpha Condé a mis en branle la justice contre lui. Comme pour dire que tant qu’ils étaient alliés et partenaires, il bénéficiait d’une » immunité judiciaire », maintenant qu’il a décidé de jouer au héros, la justice qui avait été tenue loin de lui, le rattrape vite en écho à la rage de Alpha Condé d’avoir perdu un allié de poids. D’ailleurs d’un côté, Alpha traque Dadis et de l’autre Condé dépêche des émissaires originaires de la région de Dadis dans les fiefs de ce dernier pour expliquer que c’est leur leader qui, le premier, a rompu le pacte de non-agression les ayant liés. A qui voudrait-on faire croire alors que la Justice est indépendante et que Dadis est un justiciable comme un autre ? Tous les » inculpés » auront-ils droit à des » excuses » ?
Les Guinéens , s’ils doivent se réjouir chaque fois que l’histoire et la justice rattrapent des responsables du pays qui, au moment où ils sont aux affaires comme aujourd’hui n’ont pas de limites ni scrupules, doivent s’opposer – parce que ça peut arriver à tout le monde- à l’utilisation de la Justice comme épouvantail contre des adversaires du pouvoir ou des activistes des Droits de l’Homme, des Médias, de la démocratie.
Un inculpé, beaucoup d’accusés
La Guinée est si habituée à l’impunité et son histoire chargée de crimes et tâchée de sang que l’Homme guinéen a perdu sa capacité à s’indigner, le pouvoir et la force de se révolter. Chacun balaie devant sa porte. Le sort de tout concitoyen, aussi injuste soit-il, n’émeut personne dans une société cruelle et froide. L’injustice et la violence qui nourrissent toutes les dictatures, comme celle de Alpha Condé, sont vécues dans l’indifférence totale, pour ne pas dire avec le consentement de tous. Le repli sur soi, sa communauté, le silence coupable devant le crime et l’arbitraire, la violence et le crime d’Etat minent de l’intérieur depuis toujours notre pays, retardent depuis de trop nombreuses années le progrès économique, social et démocratique de la société guinéenne.
Alpha Condé a hérité de cette culture de » l’omerta » et de la » capitulation’’, face à la brutalité de l’Etat et aux dérives des gouvernants. Il a compris qu’en Guinée, les élites et les institutions sont depuis toujours au service de l’homme au pouvoir dont la volonté et les intérêts sont la référence commune, la source des initiatives et de toutes les décisions dans tous les compartiments de l’Etat, du gouvernement, de l’Armée, de l’administration, des affaires…
Comme ses prédécesseurs, même si les époques sont différentes, Alpha Condé décide de tout, tout seul, semble même disposer du droit de vie et de mort sur les citoyens ravalés au rang de sujets dans une république bananière, taillables et corvéables dans sa démocratie de façade.
La Justice qui devrait être au-dessus de la mêlée et de tout le monde, elle qui devrait constituer le recours pour tous les citoyens devant la toute-puissance de l’Etat , les abus de pouvoir des dirigeants du pays habités par les démons de la violence, elle , aussi , est comme toujours l’alliée naturelle du Président. Et pourtant, elle n’a pas à choisir son camp et n’a pas pour vocation de se mêler des conflits d’intérêts entre les acteurs politiques, ce n’est pas son rôle d’être un moyen de représailles politiques ou de vengeance personnelle. Jean de la Fontaine a prévenu que la Justice est l’œuvre des puissants du jour, qu’il arrive souvent qu’avec elle aussi » la raison du plus fort soit toujours la meilleure » : » Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir ». C’était le cas pour Alpha Condé hier, c’est le sort de Dadis aujourd’hui.
Cheick Sako que beaucoup de guinéens dans leur crédulité légendaire ont jugé l’homme idéal pour qu’enfin la justice guinéenne soit libre et indépendante, vient de montrer, lui aussi, que l’Exécutif est l’unique véritable pouvoir en Guinée. Et aujourd’hui, la » Justice, c’est Alpha Condé ». Sa désignation pour présider le dialogue sollicité par l’opposition avec le pouvoir d’Alpha Condé était déjà de nature à éveiller une suspicion légitime à propos de cet homme venu de loin, inconnu des Guinéens, parce que Alpha Condé ne place sa confiance qu’en des collaborateurs prêts à tout pour lui.
En tout cas, il ne saurait y avoir un hasard de calendrier judiciaire ou une malheureuse coïncidence entre l’inculpation par la justice guinéenne de Moussa Dadis Camara et son acte de défiance à l’encontre de Alpha Condé et de son pouvoir. Au contraire, il existe bel et bien un lien de causalité qui entache davantage l’image de la justice sous Alpha Condé et amène à douter de plus de l’impartialité dans l’instruction du dossier du 28 septembre 2009.
Au demeurant, la Justice guinéenne, en fonction de l’intérêt souvent politique que Alpha Condé manifeste dans les affaires portées devant elle, se dépêche ou cherche à gagner du temps, lorsqu’elle ne se déclare pas carrément incompétente. L’opposition qui l’a souvent sollicitée pour dire le droit face à des violations de la constitution, à l’assassinat de beaucoup de ses militants… a été systématiquement déboutée. En clair, la Justice a un traitement sélectif et discriminatoire des affaires qui lui sont soumises, semble répondre à la demande des citoyens, selon les desideratas du Président et non en se fondant sur le droit et les lois de la République. Dans ces conditions, quelle crédibilité accordée à l’inculpation par elle de Dadis Camara, même si c’est pour une affaire grave qui interpelle chaque guinéen et que lui-même y voit l’occasion de s’expliquer enfin contre les accusations portées contre lui ?
Quelle vérité ou justice pourraient attendre les victimes et leurs familles, le pays d’un procès avec de forts relents politiques et l’intention du pouvoir d’en profiter pour récompenser des partenaires et sévir contre des adversaires ?
La justice de Alpha Condé n’est pas la Justice dans l’affaire du 28 septembre ni dans les autres tragédies que le pays a connues. Ses propres victimes, nombreuses aussi, attendent, à leur tour, la vraie justice. Celle qui rattrapera tout le monde, y compris Alpha Condé et les complices de ses injustices flagrantes, multiples et fréquentes. Accusés, levez-vous ! Un appel de l’Histoire que la Justice finira par entendre, en Guinée aussi.
Tibou Kamara