Médias en ligne: Quand Yérim ethnicise le débat en Guinée…

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Cheikh Yérim Seck est un journaliste, ancien de Jeune Afrique et patron d’un site qui, selon lui, a pignon sur rue à Dakar. Le bonhomme s’est même autoproclamé numéro 1, devant seneweb. Rien que ça. Il n’y a pas longtemps, il s’est tiré avec quelques plumes en moins (certains disent la crête) d’une scabreuse affaire de mœurs pas facile à dépuceler. Ce fut tellement compliqué ! Mais passons.

Aujourd’hui cet «immense» journaliste, businessman à ses heures perdues – Dadis ne le portait pas dans son cœur et c’est le moins qu’on puisse dire*! -, pour se donner une certaine virginité (n’y voyez pas un jeu de mots), se lance, en Guinée, dans une nouvelle aventure en créant un site : conakryactu.net – la pub est gratuite.

Ce qui est une bonne chose tant que cela peut contribuer à la pluralité de l’information. Le hic est que Yerim vient avec un « genre » décalé et de nature à ne pas aider à la cohésion nationale : faire référence à tout va à l’appartenance ethnique des hommes qu’il cite dans ses articles.

Dans sa livraison du 9 juin, il écrit à propos des Peuls : « Ethnie majoritaire en Guinée, représentant selon les données statistiques les plus fiables environ 38% de la population, les Peuls sont une identité remarquable dans tous les sens du terme. S’ils sont issus de la Moyenne-Guinée, la partie centrale du pays qui englobe des villes comme Mamou, Pita, Labé et Gaoual, ils sont présents dans toutes les autres régions où ils ont migré à la recherche de meilleures conditions d’existence. Partout en Guinée, jusqu’au plus petit bled enfoui dans les profondeurs de la Forêt, ils ont présents et tiennent le commerce et les affaires. L’argent de la Guinée est entre les mains de ces débrouillards devant l’Eternel, dotés d’un sens inné du business et d’une capacité inouïe d’accumuler. Les champions du petit commerce ? Les Peuls. Les patrons des filières d’importation ? Encore les Peuls. Les propriétaires des grandes enseignes de commerce général et des unités industrielles ? Toujours les Peuls. Ils font plus que détenir le pouvoir économique, ils en ont le quasi-monopole ». Tels sont des mots qui ressemblent à s’y méprendre à des fadaises savantes. La toute petite question qu’on pourrait bien lui poser est : d’où tient-il ses « statistiques les plus fiables » ? Pour le moment, les Guinéens n’ont pas de statistiques basées sur l’ethnie qui pourraient étayer de telles affirmations gratuites.

Pire, notre bonhomme nous rapporte : « Très tôt alphabétisés, en arabe puis à l’école française, ils sont les plus instruits en Guinée. Les imams, les maîtres coraniques, les cadres supérieurs de l’intérieur comme de la diaspora sont, dans leur majorité, peuls. Cela fait quand même un peu beaucoup, aux yeux des autres ethnies qui, de surcroît, se sentent envahies par ces nomades de tradition qui viennent arracher leurs meilleures terres pour y ériger les commerces les plus florissants et les demeures les plus resplendissantes. Les Soussous, les Malinkés et les Forestiers vivent mal cette situation qu’ils ressentent à la limite comme une forme de colonisation. »

La masturbation intellectuelle n’a pas de limite. Mais le problème le plus grave, c’est qu’on est sorti des minables potins de quartier pour plonger dans l’univers pathétique que Yerim, comme subitement pris par un besoin compulsif de faire le buzz médiatique, voudrait bien mettre en relief. Pris séparément, tous les Soussous, Malinkés, Forestiers et Peuls pensent-ils pareil ? Le raccourci est évident dans la mesure où notre journaliste pseudo-psychologue ne parviendra jamais à faire gober au plus sénile d’entre nous qu’il a les moyens de violer les cerveaux de tous les Guinéens pour aboutir à cette affligeante conclusion.

Dans ce pays, il existe bel et bien des personnes réfléchies qui comprennent que l’ethnie n’est qu’une arme de bas étage exploitée par des politiciens incompétents véreux et sans scrupules. Et l’histoire – pas celle que Monsieur Yerim a voulu bien raccourcir pour ses propres intérêts commerciaux – ne nous démontre pas le contraire.

Le plus fidèle allié de l’Almamy Samory Touré s’appelait Bocar Biro Barry, l’Almamy du Foutah. La relation entre les deux hommes était si poussée que ces deux résistants ont intégré dans leur propre garde prétorienne des éléments de leurs armées réciproques. Si les Sofas mobilisés par Samory à la demande de son frère étaient arrivés à temps à la bataille de Poredaka, l’Almamy Bocar Biro aurait sans doute connu un autre destin. Aujourd’hui encore chez les sages du Foutah et des contrées mandingues, ce souvenir est intact. Ce n’est pas pour rien que le visiteur est toujours impressionné par l’éducation exquise de ces sages quelles que soient leurs origines ethniques. Evidemment, l’histoire, pas celle créée de toutes pièces par des personnes qui rament sous le tapis, ne doit pas être lue avec des lunettes bancales.

L’approche favorisée par la nouvelle coqueluche du web guinéen n’est pas seulement discutable. Lorsqu’on lit entre les lignes de son article phare publié le 9 juin (Y a-t-il un problème peul en Guinée ?), on se rend compte que le journaliste fait mine de susciter un pseudo-débat en soufflant le chaud et le froid, dans une démarche qui frise la manipulation. Heureusement que la sentence sans appel assenée de manière péremptoire n’a convaincu aucun esprit doté d’un minimum de logique.

« Mouctar Diallo a usé de surenchère pour opposer un « non » diplomatique au locataire du palais de Sékhoutouréya. Il a demandé ce qu’il est sûr de ne pas pouvoir obtenir: le poste de Premier ministre. Ce Peul averti, jeune loup aux dents longues, (…). Quant à Baïdy Aribot, qui a averti Sidya Touré dès les premières avances d’Alpha Condé, il a laissé durer le plaisir, maintenant le contact avec le palais pour en savoir plus sur ses desseins et sa stratégie. Au finish, ce Soussou pur jus, député de Kaloum, référence de la jeunesse de cette presqu’île qui flirte avec l’océan, a fait traîner sa réponse pour décourager l’adversaire », dixit le Grand spécialiste de la Guinée !

Oui, on est en droit de se poser des questions pertinentes sur les intentions réelles de Yérim. Cette remarque est d’autant plus valable que personne n’oserait, dans le bas dessein de le brocarder, évoquer ses origines sociales dans un pays comme le Sénégal, encore conservateur malgré les apparences.

Ibrahima S. Traoré (in Guinee7)

*En septembre 2009, le chef de la junte guinéenne, Moussa Dadis Camara a traité Cheihk Yérim Seck d’escroc qui aurait proposé un marché dans lequel Jeune Afrique produirait des articles favorables à la Guinée en échange d’une rémunération allant de 300 000 à 500 000 euros, sur une base trimestrielle.

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Y a-t-il un problème peul en Guinée ? (Par Cheikh Yérim Seck)

CONAKRYACTU.NET Ethnie majoritaire en Guinée, représentant selon les données statistiques les plus fiables environ 38% de la population, les Peuls sont une identité remarquable dans tous les sens du terme. S’ils sont issus de la Moyenne-Guinée, la partie centrale du pays qui englobe des villes comme Mamou, Pita, Labé et Gaoual, ils sont présents dans toutes les autres régions où ils ont migré à la recherche de meilleures conditions d’existence. Partout en Guinée, jusqu’au plus petit bled enfoui dans les profondeurs de la Forêt, ils ont présents et tiennent le commerce et les affaires. L’argent de la Guinée est entre les mains de ces débrouillards devant l’Eternel, dotés d’un sens inné du business et d’une capacité inouïe d’accumuler. Les champions du petit commerce ? Les Peuls. Les patrons des filières d’importation ? Encore les Peuls. Les propriétaires des grandes enseignes de commerce général et des unités industrielles ? Toujours les Peuls. Ils font plus que détenir le pouvoir économique, ils en ont le quasi-monopole.

Très tôt alphabétisés, en arabe puis à l’école française, ils sont les plus instruits en Guinée. Les imams, les maîtres coraniques, les cadres supérieurs de l’intérieur comme de la diaspora sont dans leur majorité peuls. Cela fait quand même un peu beaucoup, aux yeux des autres ethnies qui, de surcroît, se sentent envahies par ces nomades de tradition qui viennent arracher leurs meilleures terres pour y ériger les commerces les plus florissants et les demeures les plus resplendissantes.

Les Soussous, les Malinkés et les Forestiers vivent mal cette situation qu’ils ressentent à la limite comme une forme de colonisation. Les Malinkés, en particulier, sont en conflit frontal avec les Peuls, qui remonte aux violences opposant le PDG de Sékou Touré au BAG de Barry Diawandou, au moment de l’indépendance, en 1958. Cette adversité ancienne s’est exacerbée avec la mise à mort de nombre de cadres peuls (Ibrahima Bah dit Barry III, Diallo Telli, Alpha Oumar Barry…) dans une purge que le régime de Sékou Touré a dénommée « le complot peul ».

Du fait de leur teint généralement clair qui tranche d’avec la noirceur ambiante, de leur dialecte unique en son genre, de leur dispersion à travers la Guinée, le Sénégal, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Nigeria, le Cameroun…, c’est à peine si les Peuls ne sont pas perçus comme des étrangers dans leur propre pays. Quoique fort critiquable, le propos du président Alpha Condé, selon lequel « la Guinée appartient aux Malinkés, aux Soussous et aux Forestiers », traduit l’opinion dominante dans ces trois ethnies. L’étranger que je suis, avec qui tout le monde parle sans tabou, peut en attester.

Mieux ou pire, les Peuls sont dépeints par les autres composantes de leur pays comme des êtres prompts à trahir, foncièrement communautaristes et portés sur le népotisme. « Partout où le Peul est chef, tout le monde est peul jusqu’au planton », a-t-on coutume d’entendre en Guinée. S’ils sont faux parce que globalisants, ces clichés sont ancrés dans les esprits. Ils poussent les autres ethnies à se coaliser contre tout Peul qui brigue la magistrature suprême. Et expliquent la victoire d’Alpha Condé au second tour de la présidentielle de 2010, malgré l’écart qu’avait creusé son adversaire Cellou Dalein Diallo au premier. Sidya Touré, qui avait appelé à voter Cellou, n’a pas été suivi par son électorat soussou dans sa consigne de vote, et a vu son parti voler en éclats. Après avoir mis du temps et de l’énergie à réparer les dégâts, le leader de l’Union des forces républicaines (UFR) a annoncé, le 1er juin, que si Alpha et Cellou se retrouvaient à nouveau au second tour de la présidentielle d’octobre 2015, il n’appellerait plus à voter pour le second.

L’isolement des Peuls sur l’échiquier politique tient à un obstacle psychologique chez les autres qui se décline ainsi: « les Peuls tiennent les pouvoirs économique, intellectuel et religieux. S’ils prennent le pouvoir politique, ils auront tout en main et le garderont ad vitam aeternam. »

Pourtant, la réalité est, comme toujours, très éloignée de la caricature. Cellou Dalein Diallo, qui incarne aujourd’hui le pays peul sur l’échiquier politique, n’a rien d’un extrémiste ni d’un leader ethnocentriste. Et il est trop fin pour ne gouverner le pays, le cas échéant, que dans l’équilibre. Mais, moins que la réalité, c’est la perception qui compte en politique. Pour le pêcheur de Forécariah, la ménagère de Kankan ou le chasseur de Macenta, Cellou est et demeure « un Peul ».

Le leader de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) l’a bien compris, qui s’appuie, tout au long de ces cinq dernières années, sur ses lieutenants issus de la Basse-Guinée, de la Haute-Guinée et de la Guinée Forestière pour pénétrer politiquement ces régions, les rassurer, les doter de cellules UFDG, convaincre des électeurs… Vaste chantier! Tant les préjugés sont tenaces. La Guinée a un réel problème peul. Tout comme le Cameroun a un problème bamiléké. Nier le mal, c’est contribuer à l’exacerber. Dans le cadre d’une réflexion sur l’avenir de la nation guinéenne, le principal défi consiste à dissoudre le fait ethnique dans l’entité nationale. Senghor l’a relevé au Sénégal.

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