Tribune Libre :Prologue.Dans les années 90, le célèbre écrivain Kenyan NGUGI WA THIONG’O me raconta une histoire navrante à propos de son roman MATUGARI. Le personnage fictif du roman était un ancien héros de l’indépendance qui, désabusé par la corruption, entreprit d’organiser une insurrection populaire. À la publication du roman, les autorités Kenyanes déclenchèrent une campagne pour faire arrêter le héros fictif. La répression s’abattit dans les zones que la fiction avait prises comme théâtre. L’auteur, NGUGI, fut arrêté pour incitations à la rébellion ; il fut emprisonné pour un an environ. Grâce à Amnesty International il sera libéré et vit aujourd’hui aux USA où il enseigne – notamment à Yale.
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Étant donnée la culture de culpabilisation collective et la paranoïa des pouvoirs en Guinée, il est fort possible que des écrits comme celui que je soumets ici, parlant d’insurrection populaire, puissent être utilisés pour justifier les «complots» préparés et la répression préméditée. Seront peut-être mis à l’index par les cercles du pouvoir, les organisations dans lesquelles je milite, mes amis et collaborateurs, la diaspora etc. Comme on est en plein délire ethnocentriste, les citoyens originaires du Fouta-Djallon seront peut-être ciblés par les propagandistes du RPG. Le fait que j’existe et que je ne suis pas une fiction, pourrait bien être une aubaine pour les fabricants de complots.
Les séquelles de la répression politique dans notre pays veulent qu’on ne proclame jamais en public l’option d’une lutte politique fondée sur la violence. J’ai délibérément choisi de passer outre. S’il faut donner des raisons, il y a avant tout, le navrant constat d’une culture persistante d’impunité dans notre pays dont les exemples de l’histoire montrent qu’elle ne peut être éradiquée que par la violence. Ensuite, la pratique militante avec des sœurs et frères guinéens a consolidé en moi l’idée de la nécessité et de la viabilité de l’insurrection populaire. La pratique militante a assis en mon for intérieur la conviction que les sacrifices qui seront consentis lors d’une insurrection populaire dans notre pays ne seront pas vains et qu’ils restent le seul moyen pour que le peuple de Guinée se débarrasse du fascisme ethnique et de la corruption qu’il couve. L’effort ici fait est plus une forme indirecte de gratitude à des militants guinéens, dévoués dans leurs âmes et sincères dans leurs cœurs, que j’ai l’honneur de côtoyer. Nombreux sont nos compatriotes qui sont tombés dans les batailles obscures que notre peuple n’a cessé de mener contre le despotisme. Certains n’ont plus la force de lutter du fait de l’âge. D’autres ont baissé les bras du fait des échecs successifs. Les honorer en réaffirmant et en raffinant leurs combats inachevés est une obligation.
Introduction
La constante de l’histoire guinéenne a été la répression des moindres velléités de contestation et le détournement des aspirations des populations et c’est un lieu commun que de dire que le pays a du mal à se défaire de ces pratiques politiques. Une telle situation n’est certes pas spécifique à la Guinée. Le préambule de la déclaration d’indépendance des États-Unis remarquait : «l’expérience de tous les temps a montré, en effet, que les hommes sont plus disposés à tolérer des maux supportables qu’à se faire justice à eux-mêmes en abolissant les formes auxquelles ils sont accoutumés».
Le débat sur les moyens d’arrêter cette infernale succession de systèmes répressifs en Guinée reste une question centrale. Le temps qui passe ne fait que le prouver. Cette série de papiers participe à ce débat dans le but d’explorer les voies et moyens par lesquelles les populations pourraient se débarrasser de l’oppression. L’exploration est faite sur la légitimité, la nécessité et l’organisation de l’insurrection populaire comme moyen de changement politique. Pour ramener le concept dans la sphère des possibilités à considérer, il fallait le débarrasser des connotations que les régimes guinéens lui ont données. L’interrogation sur les effets accumulés et les séquelles de la répression qui permettent la perpétuation du système et comment cette construction lente maintient les guinéens dans la sujétion permettra de pénétrer le conditionnement de la peur par l’identification de ses effet. Comment défricher des voies de combat et les structures autour desquelles regrouper les forces du changement est traité de façon spéculative. La question de savoir comment un tel combat peut-être livré pour minimiser les dégâts dans les rangs des forces démocratiques et réduire le potentiel répressif de l’état sera abordée comme un inventaire des possibilités, une analyse des risques et des atouts sur lesquels les circonstances du combat lui-même décideront. Le série conclura par un thème plus facile et donc de prédilection. C’est-à-dire, comment organiser la transition de l’état d’insurrection à la démocratie.
Pour que cette transition ait lieu, une bonne préparation et une bonne exécution de l’insurrection populaire est indispensable. L’ampleur et le coût de l’insurrection elle-même seront conditionnés par l’usage qui sera fait d’organisation et de discipline sans lesquelles l’intelligence et la détermination psychologique ne sont rien.
La conviction de l’inéluctabilité d’une victoire dans un tel processus est la motivation de base de ce travail. Elle est doublée de la conviction corollaire que sans un tel combat la Guinée trainera son passé historique à jamais. Le temps n’arrange rien automatiquement dans l’histoire d’une nation. De nombreux exemples de nations en faillite sont là pour le prouver. Il y a plus de 25 ans que le multipartisme a été décrété en Guinée. Si la démocratie n’était qu’une question de temps ou de générations on aurait vu des effets tangibles. Il s’avère plutôt que sans un combat délibéré et conscient pour oblitérer le passé et des pratiques politiques qui ont montré avoir la vie dure, l’implantation de la démocratie dans notre pays se fera toujours attendre.
De la légitimité de l’insurrection populaire
En prenant comme guide l’expérience de la Guinée et le désir affirmé des guinéens de se défaire de ce carcan d’état paria et en faillite, l’insurrection populaire apparait comme un devoir bienfondé, doublé d’une légitimité inaliénable. La perpétuation de la culture d’impunité l’a rendue incontournable. Pour la considérer et la ramener sur le terrain des possibilités, il est utile d’élaguer les confusions et les malicieux occultismes qui, à la faveur des effets de la complotite, l’ont écartée du débat politique public.
Tous les moyens ont été mis en œuvre pour noyauter le fait fondamental que les citoyens guinéens sont les seuls garants et les vérificateurs obligés de la légalité de tout gouvernement. Le régime totalitaire du PDG détourna la souveraineté du peuple et la ravala en slogans. Le concept de «prééminence du peuple» consacrait en fait la toute-puissance d’un homme, de sa famille et de ses courtisans. L’idéologie fasciste du PDG fit de cette prétendue prééminence un fétiche. Cela lui permit de nier toute valeur à l’individu pour mieux flouer la masse du peuple et justifier les crimes d’état. Depuis cette époque la dépossession des citoyens de toute volonté et de toute légitimité d’action a été continue.
Les régimes qui suivirent le PDG s’adaptèrent à l’air du temps et prirent des colorations «démocratiques» ou «libérales». Les moyens de perpétuation des mafias au pouvoir furent les élections truquées assorties de violence. Dans les systèmes politiques guinéens, les consultations électorales ne sont que des alibis pour masquer la même entreprise de dépossession des citoyens de toute marge de manœuvre et d’action. Tout en prenant refuge derrière la démocratie, les régimes guinéens se gardent bien d’aller dans la logique qu’elle impose. En démocratie la délégation de pouvoir que sont les élections n’est acceptable et légitime qui si le pouvoir soumet en permanence ses actions à la sanction constante par le peuple qui l’a investi et qu’il prenne des mesures correctives sur les dérives constatées. Les échéances électorales ne sont pas les seules occasions pour cette vérification – qui doit être constante il faut le rappeler. Le moyen le plus sûr de ce contrôle est la division du pouvoir entre différentes branches de l’état. Chaque branche est dotée des moyens et du pouvoir de sanctionner l’autre. Toute branche du pouvoir qui fait le moindre manquement à la constitution, à l’un quelconque des impératifs de contrôle ou cherche à empiéter sur les privilèges de l’une des branches devient illégal. À défaut de sanctions par les autres branches, il est du devoir du peuple, à tout moment, de le balayer par tous les moyens nécessaires, y compris et surtout par la violence et l’insurrection. Ce devoir devient impératif si en sus, le pouvoir commet des crimes économiques ou de sang.
C’est dire que les personnes qui ont réellement lutté ou qui luttent dans le but de balayer ces régimes et de mettre fin à leurs abus sont dans leur parfaite légalité. Celles qui ont osé affronter ces régimes par des moyens violents sont de vrais patriotes. Ce ne sont ni des apatrides, ni des traitres, ni des saboteurs, ni des «comploteurs», ni des conspirateurs, ni des vendus. Tous les moyens dont dispose l’état sont utilisés pour masquer ce fait. Jusqu’à présent l’entreprise a réussi. Il y a donc lieu de restaurer le sens et la vocation du concept d’insurrection populaire afin de mettre fin à son emprise sur les esprits et à la connotation dangereuse qu’on lui a donnée pour le reléguer dans les zones des tabous.
Ourouro Bah.
À suivre – Insurrection, conspiration et dangers de guerre civile en Guinée.