La communauté internationale a poussé un soupir collectif de soulagement après les récentes élections présidentielles, législatives et des gouverneurs au Nigeria. Bien que la compétition fût la plus féroce que les Nigérians aient jamais vu, et que les élections furent entachées par des irrégularités et quelques épisodes regrettables de violence, la concession gracieuse du président sortant et la magnanimité de son challenger ouvrent la voie pour une passation de pouvoir historique, pacifique et démocratique, le mois prochain, dans le pays le plus peuplé d’Afrique. C’est une étape importante, non seulement pour le Nigeria, mais pour l’Afrique dans son ensemble.
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Mais, imaginez ce qui serait arrivé si le président Goodluck Jonathan avait truqué le processus électoral ou tout simplement refusé d’accepter la victoire du président élu Muhammadu Buhari suite au scrutin. C’est ce que le président Alpha Condé tente de faire, dans un pays proche du Nigeria – la Guinée. Une nation géopolitiquement sensible dans la même sous-région Afrique de l’Ouest, où les risques de bouleversement politique et des conflits ethniques pourraient facilement déborder dans les pays voisins, notamment le Mali, le Libéria, la Sierra Leone et la Côte d’Ivoire, qui tous, viennent de sortir de longues périodes de guerre civile. Par conséquent, il y a un besoin urgent pour un engagement plus conséquent de la communauté internationale en Guinée. La bonne nouvelle en provenance du Nigeria ne doit pas être une occasion de complaisance dans la considération des perspectives de la démocratie et de la stabilité, ailleurs dans la région.
En outre, nous ne devrions pas voir simplement la Guinée à travers le prisme du virus Ébola, malgré les efforts du président sortant de tout blâmer sur l’épidémie dont son pays a été le malheureux épicentre, comme il l’a fait sans vergogne, la semaine dernière à Washington. Avant la mortelle épidémie qui a fait des ravages à l’économie, la pauvreté urbaine et rurale a été en constante augmentation durant le mandat du président, selon le rapport de son propre ministère des finances, au Fonds monétaire international. Incapable de faire campagne sur un maigre bilan, Condé, en poste depuis une élection contestée en 2010, est en train d’utiliser tous les trucs afin de rester au pouvoir. Le trucage du processus électoral par le régime, afin de s’assurer lors des élections prévues dans moins de six mois, est de plus en plus flagrant.
L’opposition politique se rend compte qu’elle est en train de se faire piéger par le gouvernement, qui contrôle la soi-disant Commission électorale nationale indépendante. Cet organe a réarrangé le calendrier électoral pour donner un avantage insurmontable au président sortant, qui, pendant presque un an, a refusé d’engager un dialogue politique avec l’opposition.
Frustré par l’intransigeance du gouvernement et le manque d’attention de la communauté internationale, la coalition représentant les principaux partis d’opposition a pris la rue pour exiger des élections libres, justes et transparentes. Les manifestations pacifiques, avec une prévue pour ce jeudi (19 Avril 2015 – ndlr), ont continué malgré les tentatives du régime pour réprimer violemment. Le lundi (16 Avril 2015) – ndlr), par exemple, plusieurs manifestants, dont un garçon de 15 ans, ont été blessés par des balles réelles été tirés par la police.
À la suite de ces manifestations, le gouvernement de Condé a finalement offert de renouer le dialogue avec l’opposition. Cependant, Cellou Dalein Diallo, un économiste partisan du libéralisme et ancien Premier ministre, ainsi que d’autres dirigeants de la coalition de l’opposition ont refusé de participer à des discussions avec le gouvernement jusqu’à ce que deux conditions soient remplies: la commission électorale pro-gouvernementale doit cesser de fonctionner et elle doit être remaniée; le calendrier pour les élections que la commission a annoncé unilatéralement doit être abandonné au profit de celui autour duquel il y a un consensus de toutes les parties prenantes. Depuis Paris, le mercredi, Condé a rejeté toute modification du calendrier électoral.
Ces conditions préalables sont nécessaires parce que les dirigeants de l’opposition ne font pas confiance à Condé et pensent que l’offre de négociations n’est qu’un piège habile de plus, dans un dialogue de sourds, conçu pour gagner du temps alors que l’horloge électorale continue à tourner.
L’opposition est convaincue qu’elle a le soutien des masses. Bien sûr, elle devra prouver cette affirmation dans les urnes. Mais pour que cela se produise, l’ensemble du processus électoral doit être libre, équitable et transparent. Et, ce processus doit commencer bien avant la date 11 octobre 2015, choisie pour l’élection présidentielle. L’opposition exige, tout à fait raisonnablement, que les élections locales que Condé a reportées, sous un prétexte ou un autre, pour plus de quatre ans se tiennent avant le scrutin présidentiel, en conformité avec les lois de la Guinée ainsi que les promesses répétées du président lui-même.
Pourquoi est-ce-que tout cela si important? Tout d’abord, il n’y a pas de provisions dans la constitution guinéenne pour des reports répétés de ces élections et – comme l’ont souligné les politiciens de l’opposition et les leaders de la société civile – ceux qui occupent des responsabilités locales – maires, membres des conseils locaux, chefs de quartiers, etc. – n’ont aucun mandat légal. Deuxièmement, comme de nombreux observateurs l’ont noté, les critères en vertu desquels les responsables locaux ont été retenus, sans le consentement de leurs électeurs, ont été leur allégeance au président. Troisièmement, ces mêmes responsables non élus locaux, dépendants qu’ils sont dans leur survie de l’actuel président, sont les mêmes personnes qui, au niveau local, vont déterminer qui peut s’inscrire pour voter et qui peut voter le jour de l‘élection, en même temps qu’ils seront en charge du dépouillement et du compte des résultats.
Les candidats de l’opposition et les défenseurs de la démocratie craignent, à juste titre et sur la base de leur expérience dans l’élection présidentielle controversée de 2010, sur laquelle de nombreux rapports donnent des indications de fraude, que le processus sera corrompu. Ainsi, ces militants ont appelé la communauté internationale, notamment les Nations-Unies, l’Union-Africaine, la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest, l’Union européenne, la France et les États-Unis, à s’engager plus énergiquement en Guinée pour assurer la transparence des prochaines élections locales et présidentielles. Le déploiement des observateurs étrangers pour surveiller les bureaux de vote le jour du scrutin viendrait trop tard et aura peu d’effet.
Pourquoi la Guinée serait importante? Pourquoi la communauté internationale, avec tant de crises demandant son attention, devrait-elle faire attention à ce pays? La Guinée compte parce qu’elle constitue un cas typique de développement avorté, un pays qui n’a jamais réalisé les ambitions à la hauteurs de ses ressources humaines et naturelles extraordinaires – entre autres choses, elle détient les deux tiers des réserves mondiales de bauxite, des quantités prodigieuses d’or, de diamant, de minerai de fer, du graphite, de manganèse et d’autres ressources minérales – qui pourraient faire de la Guinée l’une des nations les plus riches en Afrique. Hélas, depuis l’indépendance en 1958, le pays a été dirigé par une série de leaders autoritaires qui ont gouverné pour le bénéfice de quelques privilégiés, et non pas pour l’ensemble de la nation. En outre, sans des élections crédibles, la Guinée risque de plonger dans une crise politique profonde, voire de véritables conflits. Les tensions ethniques sont déjà attisées et, dans une région dont les frontières sont si poreuses comme l’ont très récemment montré la propagation rapide du virus Ébola, de tels conflits seront impossibles à contenir.
Pour parer à cette menace très réelle, la communauté internationale doit s’engager maintenant pour garantir des élections libres, justes et transparentes donnant des résultats crédibles acceptables pour tous les Guinéens. Cela importe non seulement pour le peuple de Guinée, mais est essentiel au maintien de la paix, de la stabilité et des acquis démocratiques de toute la région.
Par J. Peter Pham – le 23 Avril, 2015
Directeur du Centre de l’Afrique de l’ATLANTIC COUNCIL. Washington DC
http://www.usnews.com/opinion/blogs/world-report/2015/04/23/why-guineas-election-crisis-matters
Traduction : Ourouro Bah