Dans l’envoûtement de la conquête du pouvoir – ou de ses miettes – avec les machins électoraux, l’opposition vient d’entériner son mépris des victimes de la violence politique en Guinée. Elle n’avait pas jugé utile d’interpeller Jean-Marie Doré qui avait prétendu connaitre les coupables et inspirateurs de la conspiration d’empoisonnement en 2010 qui avait couté la vie à des dizaines de citoyens originaires du Fouta-Djallon en Haute-Guinée. Le bon sens serait d’exiger que Jean-Marie Doré dévoile ses sources afin que les faits soient établis et les coupables punis. Le cynisme de Jean-Marie Doré avait choqué. On croyait à un cas isolé d’un homme au passé ombrageux. Mais c’est plutôt une forme d’omerta – loi du silence sur les crimes chère à la mafia – qui a pris corps dans les rangs de l’opposition. Seule une telle culture explique que les ténors de l’opposition veuillent protéger des sources d’information sur des crimes contre des guinéens. Ne pas avoir utilisé ces sources pour entamer des démarches judicaires ou des actions spécifiques contre les présumés coupables est plus que navrant. C’est une trahison de leur devoir et de leurs prérogatives. Il faut exceller dans l’art d’incompréhensibles calculs politiques pour ne pas avoir saisi l’occasion, organiser des réunions publiques, victimes et témoins à l’appui, et exiger des enquêtes sérieuses. Ce serait un début modeste de rénovation de l’appareil judiciaire dont tout le monde se plaint de la déliquescence. Les personnes qui sont les sources des informations seraient mieux protégées si les preuves disponibles sont versées dans un dossier d’enquêtes qu’elles ne le sont par des déclarations évasives. Détenir des informations sur des crimes d’état, l’annoncer publiquement et refuser de les livrer est plus qu’une erreur politique. C’est une faute morale aux implications lourdes. Si l’intention est d’attendre le jour où il y aura des enquêtes sérieuses, c’est de la peine perdue dans la mesure où, dans ce pays, aucun criminel d’état n’a jamais été menacé et aucune victime compensée par le gouvernement. La justice n’est rien d’autre que la pratique de la justice. Ce n’est pas une destination située au-delà de la frontière des élections. Si aussi le calcul est une annonce pour mettre les criminels sur la défensive, le gouvernement pourrait bien s’en servir pour des purges et des règlements de compte dans les rangs des forces de sécurité. Dans des questions graves de vie et de mort, les allusions et des rumeurs sont irresponsables. Au finish, elles ne servent qu’à perpétuer la psychose historique de conspiration dans le pays.
Démocratie n’est pas égale à élections. On devrait avoir au moins appris cela. Comme préalable à toute démocratie, il y a le devoir citoyen de travailler pour la justice. Dénoncer et chercher sans relâche à mettre à nue les criminels, surtout quand ils ont l’émanation de l’état pour terroriser des innocents, est essentiel à la construction démocratique. C’est la condition pour une rupture du cycle de violence. Avec une histoire comme celle de la Guinée, cela devrait relever du bon sens et des évidences primaires. Que les opposants officiels y faillissent est alarmant. Cela est symptomatique d’effets d’accoutumance au banditisme d’état et de l’intériorisation de l’injustice comme norme. Les arguments que les ténors de l’opposition avancent souvent pour entériner cette sous-culture sont irrecevables. Exemples : «le président s’en fout ; il s’est entouré de criminels ; il ne réagit pas à nos demandes etc.». Les plans «stratégiques» qui sont mis en avant pour l’éradiquer ne sont qu’une fétichisation du pouvoir : « il faut attendre que le pouvoir change de main. Avec le siège présidentiel entre nos mains, tout ira mieux sur le front de la justice. On va remuer la boue. Les gens savent. La lumière sera faite etc. Que valent ces fuites quand on se rappelle que naguère, Alpha Condé était dans leurs rangs comme opposant ? Il promettait du changement dans tous les domaines. On connait la suite.
Quelle qu’en soit la raison, l’adhésion des opposants guinéens à cet ersatz de politique est suicidaire. Elle les expose d’avantage à la barbarie de l’état. Elle est aussi dangereuse en ce qu’elle porte en soi des germes de ce qui peut advenir en Guinée – comme règlements de comptes à rebours – si des rangs de l’opposition sortait encore un autre président de la république. Alpha Condé qui n’a pas hésité à faire tirer sur ses alliés d’hier est un bon avant-goût. Les ambitions politiques sans les auspices de la quête de la justice – surtout dans un pays sous des chapes de silence sur les crimes politiques depuis sa création – ne sont que des formes de prédation. Les demi-vérités auxquelles l’opposition se livre sont pires que les mensonges. Elles sont d’autant plus nocives qu’elles soulèvent l’espoir pour mieux le saper. En instituant le doute et la propension des rumeurs, à la place de l’instruction judiciaire des actions des hommes dans la cité, elles sabordent au départ le long trajet requis pour ériger un état de droit. Elles portent atteinte directement aux restes du pacte social qui fait de l’opposition, pour des millions de guinéens, une alternative à la lamentable faillite du RPG. Elles permettent aux cynismes de prendre possession du corps et du tissu social en consacrant le pays comme eldorado de criminels. Bien à l’abri, ces criminels doivent bien rire des turpitudes où chacun prétend avoir les clés des tiroirs où sont enfermées des vérités et où chacun attend une occasion propice pour les en sortir. Pour que la classe politique n’ait point de grain de sagesse pour comprendre que ce moment propice n’arrivera que quand les vérités que l’on tient comme des cabales d’ésotérisme seront révélées, montre que l’expérience de 57 ans de répression ne nous a rien appris.
Même un raisonnement par l’absurde ne peut expliquer la logique tarabiscotée des ténors de l’opposition sur la lutte contre l’impunité. Seule l’hypothèse d’un gène de cynisme également partagé par tous ceux qui font œuvre de politiciens en Guinée pourrait le faire. Alpha Condé avait dit en public au National Democratic Institute à Washington, en Août 2011, qu’il était chef d’état et non dirigeant d’une organisation des droits de l’homme. Un responsable de l’institution lui avait répondu que l’ultime devoir d’un homme d’état c’est de protéger les droits de l’homme. Dans cette même réunion, Alpha avait défendu la présence dans les rangs du gouvernement de militaires accusés de crimes contre l’humanité par le fait qu’il est un civil novice qui ne savait pas comment faire face à la machine militaire. Il mentait à moitié bien entendu. En fait, il y a un pacte entre lui et des officiers comme condition de maintien au pouvoir. La présomption inquiétante sur laquelle l’attention doit être portée, est que les opposants guinéens ne sont pas loin, ni de l’état d’esprit de Alpha, ni d’un tel pacte. Seul l’éloignement du repaire du pouvoir les en sépare. Le problème de la justice n’est ni du goût des opposants, ni de leur priorité. Pour eux, c’est un sujet pour des idéalistes des ONG. Un «chef d’état» virtuel ne doit pas se rabaisser à ce niveau. Leurs silences laissent planer un sérieux doute et un rêve cauchemardesque : la détention du pouvoir du décret ainsi que le sceau de dispensateurs de biens pourraient user des criminels impunis afin de neutraliser les futurs adversaires. D’où – deuxième hypothèse – leur exclusive obsession avec tout ce qui est électoral. Les dizaines de morts, les centaines de blessés, les emprisonnements avec tortures, les arrestations arbitraires pour des extorsions d’argent et les menaces permanentes qui frappent à la porte des dirigeants de l’opposition dont beaucoup ont failli perdre leurs vies, n’ont pas l’air d’entamer leur imperturbable sérénité. Le fait d’avoir survécu serait plutôt le signe de leur baraka qui elle-même procèderait d’un cheminement divin, grandiose et inexorable vers le pouvoir. Seuls ceux qui n’ont rien compris de ces grands desseins peuvent tenter d’y injecter les prosaïques questions de procédures judiciaires.
Ourouro Bah