Aïssatou Barry est une migrante guinéenne qui a survécu à l’enfer du tristement célèbre camp de Gourougou, dans le nord du Maroc, qui abrite les migrants clandestins voulant rallier l’Espagne. Régularisée, mais toujours dans la précarité, elle témoigne aujourd’hui de son calvaire et de celui de ses cinq enfants.
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« Ils sont en train de vider les forêts », gronde Aïssatou Barry en tapotant avec frénésie sur son téléphone. À l’autre bout du fil, un militant de l’Association marocaine des droits de l’homme parle d’une rafle de 1 200 personnes, menée ce mardi 10 février par les autorités marocaines dans le massif de Gourougou, aux environs de Nador. « Il y a 37 femmes et cinq enfants parmi eux », souffle la Guinéenne avant de reprendre de sa voix de cheftaine, pleine d’une rage sourde, sa conversation téléphonique : « Ils vont les mettre en isolement avant de les expulser. Faites tout ce que vous pouvez pour les sortir de là. Je vous en prie. Je compte sur vous. »
Nous sommes au quartier Petit Socco à Tanger, au fond d’une ruelle sombre et sinistre. Ici, dans un réduit d’à peine quinze mètres carrés s’entassent Aïssatou et ses cinq enfants. Khadija, l’aînée de la fratrie, a dix ans. Le benjamin, Najib, aura deux ans et demi en avril. « Je n’ai qu’un lit. Alors je les aligne dessus et je dors par terre », confie entre deux rires nerveux cette veuve trentenaire originaire de Guinée et de nationalité libérienne.
Régularisée il y a tout juste un mois, Aïssatou Barry a vécu clandestinement au Maroc depuis son arrivée à Oujda en 2011, après avoir perdu son mari, militaire ivoirien pro-Gbagbo, dans les affrontements qui ont suivi l’élection présidentielle contestée de 2010. « J’ai fui le pays à pied avec mes enfants. La traversée a duré 21 jours. C’est une souffrance que je ne vais jamais oublier, une souffrance qui est dans mon cœur. »
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Un périple de frontière en frontière
Partie de Côte d’Ivoire, la jeune femme traverse le Ghana, puis le Togo où elle trouve un camp de réfugiés mais déchante très vite : « Nous sommes repartis dès qu’on nous a parlé d’enlèvements fréquents, de règlements de compte. » Aïssatou n’a alors d’autre choix que de poursuivre son périple qui la mène de frontière en frontière, jusqu’en Algérie puis au Maroc. « Nous étions un groupe d’une soixantaine de personnes, avec pas mal de femmes et d’enfants. Dieu merci, notre grand nombre nous a évité les mauvaises surprises dans le désert. Et puis les frères (compagnons de voyage, NDLR) m’aidaient à porter les enfants. »
C’est un cauchemar de dépendre d’un bidon de cinq litres pendant des jours.
Pas d’agressions ni de viols à signaler, donc. « Au contraire. Les gens me voyaient avec mes gosses et me prenaient en pitié. » Aïssatou insiste : « C’est à Oujda, à l’arrivée, que les femmes risquent de se faire violer ou dépouiller, le plus souvent par les frères eux-mêmes. Aucun Algérien ou Marocain ne nous a fait de mal. » Le plus dur, c’est de trouver à manger et surtout à boire. « C’est un cauchemar de dépendre d’un bidon de cinq litres pendant des jours. De boire deux gouttes d’eau à chaque fois parce qu’on ne sait jamais combien de temps on peut marcher encore sans espoir d’en trouver. »
Arrivée au Maroc, elle s’empresse de demander l’asile auprès du Haut-Commissariat aux réfugiés de Rabat et fait des ménages, de la garde d’enfants en attendant. « 100 dirhams pour laver tout un immeuble. 400 dirhams par mois pour m’occuper de quarante enfants dans une association, alors que je payais 1 000 dirhams de loyer », soupire la veuve. Lorsqu’elle n’arrive plus à payer son logement, elle quitte la capitale pour la forêt de Gourougou, près de Nador, où elle reste un an et demi.
Elle fait défiler les photos sur son téléphone : « Me voici avec mes enfants dans la jungle. Voici la tente où nous dormions. Quand les autres clandestins partaient escalader les grillages dans l’espoir d’atteindre Mellilia, je restais ici, seule au milieu des arbres avec mes enfants. » Arrêtée peu de temps après, Aïssatou passe ensuite six mois dans un centre de détention à Berkane avant d’être relâchée et installée à Tanger, grâce à l’aide de la Délégation diocésaine des migrations de la ville.
L’intégration face à l’administration
Mes enfants ne vivront pas le calvaire que j’ai vécu.
« Aujourd’hui, ça va mieux. J’ai eu ma carte de séjour, mes enfants vont à l’école. » Mais ce répit risque d’être de courte durée. « Si je ne fais rien d’ici décembre, ma carte expirera et je serai un homme mort », raille la jeune femme, qui fouille dans son classeur, en sort une liste de documents. « Regardez ce que je dois rassembler comme paperasse pour pouvoir renouveler mon titre de séjour. » Un contrat de travail, une attestation bancaire, un contrat de bail ou une attestation de propriété récente, le passeport, entre autres choses. « Le casier judiciaire, le certificat médical, on peut avoir ça. Mais le reste, c’est impossible à obtenir. Personne ne te fera travailler, personne ne te louera ici, si tu réclames un contrat. Rien n’est fait pour nous faciliter l’intégration au pays. Il n’y a que les ONG comme l’Armid (Association rencontre méditerranéenne pour l’immigration et le développement, NDLR) ici à Tanger, qui nous donnent un coup de main. »
Mais Aïssatou Barry ne s’avoue pas vaincue. Elle voudrait se lancer bientôt dans la confection de bijoux recyclés et de robes africaines. « L’association culturelle Tabadoul est d’accord pour que j’organise mes défilés dans ses locaux. » Depuis sa régularisation, elle n’a pas perdu de temps : elle a d’ores et déjà créé son association et n’attend plus que le récépissé définitif pour entamer son activité. La Guinéenne bataille aussi pour créer son entreprise. « Mes enfants ne vivront pas le calvaire que j’ai vécu. Je veux qu’ils réussissent, ils vont jusqu’à l’école Ahmed Chawki au Boulevard pour étudier, parce que dans l’école du coin, ils ne comprenaient rien. Je veux qu’ils deviennent médecins, avocats, ministres d’État et footballeurs. Surtout ma fille. Je veux qu’elle soit une grande avocate. »