Ebola: Pourquoi la peur se répand plus vite que le virus ?

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La peur se répand plus vite que le virus. Après le premier cas de contagion en Espagne, déclaré le 6 octobre, et les projections de l’université de Boston, selon lesquelles la France aurait 75% de chances d’être frappée par le virus Ebola à la fin du mois, la crainte de voir l’épidémie Ebola se propager sur le continent européen prend de l’ampleur. 

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Virus cauchemardesque, Ebola nous renvoie à nos peurs ancestrales des grandes épidémies. Pourtant, la Commission européenne l’assure, ces craintes ne sont pas fondées et la situation ne peut être comparée à ce qui se passe en Afrique. Francetv info a interrogé Patrick Zylberman, professeur d’histoire de la santé à l’Ecole des hautes études en santé publique, membre de la commission des maladies transmissibles du Haut Conseil de la santé publique et auteur de Tempêtes microbiennes (Gallimard, 2013).

Francetv info : Pourquoi le virus Ebola fait-il si peur, alors que d’autres maladies sont bien plus meurtrières, comme le sida, le paludisme ou la rougeole ?

Patrick Zylberman : Il est naturel d’avoir peur des épidémies. La contamination de cette aide-soignante en Espagne peut déclencher une psychose, car la population se rend compte que même si Ebola est très loin, il y a une menace imminente. Le virus peut arriver chez nous en quelques heures d’avion. Et c’est cette configuration d’une maladie à la fois lointaine et très proche qui alimente les fantasmes.

Le rapport aux maladies infectieuses est très ambigu dans nos sociétés actuelles. Nous avons oublié la réalité des grandes épidémies. Deux générations se sont succédé depuis la dernière épidémie de variole en Bretagne en 1955. L’épidémie reste une notion très théorique. Par exemple, le sida effraie moins, car il reste considéré à tort par beaucoup comme l’affaire de marginaux. En revanche, dans l’imaginaire collectif, Ebola peut frapper n’importe qui et possède un caractère extrêmement impressionnant. 

Les experts s’accordent à dire qu’il y a peu de chances que l’épidémie se propage hors de l’Afrique de l’Ouest. Cette peur est donc en partie irrationnelle ?

Absolument. Les cas diagnostiqués en Occident alimentent les craintes, mais ils ne sont absolument pas le signe avant-coureur d’une épidémie qui pourrait se développer ailleurs qu’en Afrique de l’Ouest. En Espagne, il y a eu contamination accidentelle : il semble que l’aide-soignante se soit infectée avec un de ses gants en retirant ses équipements de protection, lesquels étaient par ailleurs inadaptés. Il y a donc eu à la fois geste accidentel et non-respect des procédures.

Ce cas de figure est presque impossible en France. Nous avons douze hôpitaux susceptibles d’accueillir des personnes contaminées par Ebola. Ils sont équipés de services spécialisés en infectiologie et dotés de chambres à pression négative. Le personnel y est formé, entraîné et prêt à faire face. C’est réellement un gage de sécurité pour notre pays.  

Des procédures très strictes existent. La plupart ont été élaborées et appliquées pour la première fois à Toronto (Canada), en mai 2003, lors de la seconde vague de l’épidémie de syndrome respiratoire aigu sévère (Sras). Puis elles ont été de nouveau mises à l’épreuve au printemps 2013 en France, avec les cas de contamination par le coronavirus du syndrome respiratoire du Moyen-Orient. Cet été, toutes ces procédures ont été révisées et renforcées pour Ebola.

On a l’impression que les crises sanitaires se succèdent depuis quelques années. Le nombre de virus pathogènes a-t-il augmenté ?

Dans l’absolu, les virus ne sont probablement pas plus nombreux qu’avant. Mais l’homme entre beaucoup plus facilement en contact avec ces virus susceptibles de devenir pathogènes. Il en existe des milliers, et beaucoup nous sont encore inconnus.

Tout un tas de changements dans la vie des sociétés humaines peuvent expliquer ces contacts plus nombreux avec les virus. Depuis la seconde guerre mondiale, l’homme s’est rapproché des « réservoirs à virus ». Certaines pratiques humaines, comme la chasse ou l’agriculture, ont amené les hommes à aller toujours plus loin dans la forêt et à entrer en contact avec des animaux eux-mêmes contaminés, comme les chauves-souris. Les voyages intercontinentaux favorisent également la diffusion des virus. Enfin, les changements climatiques peuvent aussi rendre certains agents infectieux pathogènes pour l’homme. 

En quoi Ebola est-il différent de ces autres épidémies que l’on a connues ces dernières années, comme la grippe A ou le Sras ?

Ebola est une épidémie locale qui n’est absolument pas comparable à la grippe A (H1N1), rapidement devenue une pandémie mondiale. Le Sras, lui, a touché près d’une trentaine de pays. La seule analogie que l’on puisse faire avec ces épidémies se limite aux procédures mises en place pour lutter contre les virus, pour éviter la contamination et la dissémination.

Sur certains points, Ebola rappelle plutôt les épidémies anciennes. Car il est localisé et qu’on ne peut pas lutter contre. Il n’existe ni vaccin, ni médicaments. Les populations touchées vivent dans des conditions d’extrême pauvreté et les Etats sont très vite débordés, déstabilisés par l’ampleur de l’épidémie. On a exactement le portrait de l’épidémie ancienne, que traçait déjà, il y a 2 500 ans, Thucydide, en racontant la peste d’Athènes, dans La Guerre du Péloponnèse. L’historien grec y décrivait une double réalité : une crise sanitaire et médicale d’une part et une crise morale, politique et économique d’autre part. C’est ce qui se passe en Afrique de l’Ouest.

La peur d’Ebola a mené des parents à refuser d’envoyer leurs enfants dans une école de Boulogne-Billancourt, parce qu’un des élèves rentrait de Guinée. Pensez-vous que les réactions de ce genre vont se multiplier ?

Oui, bien sûr, ces épisodes sont amenés à se multiplier dans les prochains jours. Encore une fois, la peur est quelque chose de naturel. La réaction des parents est parfaitement compréhensible. Totalement infondée, mais compréhensible. Il faut donc éviter de critiquer ou de condamner ces personnes qui sont simplement inquiètes et tiennent leur rôle de parents. Demandons-nous plutôt comment faire pour aider les gens à surmonter leur peur.

Pour les autorités, quelle est la meilleure manière d’éviter la psychose ?

Dans cette crise, la communication publique est le grand point faible de l’organisation française. ll faut absolument mettre en œuvre une communication convaincante. Et pour cela, il importe que chacun soit bien à sa place, pour que le message passe. La ministre devrait donc se cantonner aux interventions stratégiques : mobilisation internationale contre l’épidémie, financements et organisation nationale de la lutte. Car les gens ont tendance à se méfier du discours des politiques. Nous avons pu le constater en 2009, lors de la campagne de vaccination contre la grippe A (H1N1).

Ainsi, le meilleur moyen de rassurer la population serait de désigner un « délégué interministériel à la lutte contre Ebola », pour les interventions techniques, lorsqu’il faut informer l’opinion de développements d’ordre médical ou sanitaire. Un médecin, sachant expliquer les choses simplement, remplirait parfaitement ce rôle et permettrait à la population d’adhérer au discours et, le cas échéant, aux consignes des pouvoirs publics. 

Surtout, il ne faut pas confondre ce qui se passe en Afrique et ici. Les choses sont différentes. Même si demain, nous avons plusieurs cas de contagion en Europe, notre système de santé est parfaitement adapté. Il peut toujours arriver un accident, mais nous avons les moyens de gérer ces difficultés. 

Les films apocalyptiques sur les épidémies ont toujours beaucoup de succès… Existe-t-il une sorte de fascination morbide pour les virus ? 

Il y a les grandes peurs séculaires, de la peste ou du choléra, qu’on ne connaît plus, mais qui restent logées dans l’inconscient collectif. La peur ancestrale d’une épidémie tuant tout le monde reste profondément ancrée en nous, c’est une peur immémoriale et culturelle.

On sait que les maladies infectieuses sont apparues en masse dès le début du néolithique, à partir de 10 000 av. J.-C., lorsque les hommes ont commencé à vivre à côté de leurs déchets et que l’eau se retrouvait contaminée. La peur des épidémies remonte aux origines de l’homme.

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