C’est une histoire d’un autre âge, à peine croyable. Une folie collective, barbare et préméditée qui s’est emparée de tout un village de Guinée Forestière. Bilan : huit assassinats sauvages, huit corps découpés à la machette puis dissimulés dans la fosse septique de l’école, recouverte ensuite de ciment.
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Le village : Womey, six cent habitants, situé à une cinquantaine de kilomètres de la préfecture de N’Zerekoré, pas même enfoncé dans la jungle puisque traversé par une grande route. Mardi 16 octobre dernier, Womey recevait, si l’on ose dire, une délégation venue sensibiliser sur le virus Ebola. Cette visite était prévue depuis deux semaines, annoncée par les radios locales, Radio Liberté et Radio Rurale. Womey a été miraculeusement épargnée par Ebola, mais les chefs et sages de Womey avaient donné leur accord, certains s’étaient même rendus à N’Zérekoré pour organiser la visite avec les autorités.
Vers 11h30, six voitures pénètrent dans le village après avoir emprunté un petit pont qui enjambe une lisière, au bord de la grande route. Répartis dans les véhicules 4×4, le Gouverneur, le Préfet, le sous Préfet, le Directeur régional de la santé (DPS), le Directeur adjoint de l’hôpital de N’Zérekoré, le chef du centre de santé du village, un pasteur évangéliste, quatre journalistes des deux radios locales, une sociologue, deux gardes du corps et trois gendarmes non armés.
Tous sont engagés depuis bientôt dix mois dans la sensibilisation. Ils sillonnent la région, épicentre de la maladie, et se sont presque habitués à l’hostilité de certains villages qui, malgré les décès qu’ils déplorent, croient dur comme fer que c’est le personnel de santé qui introduit le virus, notamment avec le chlore désinfectant. Ainsi, depuis janvier dernier, les pare-brise d’une vingtaine de voitures MSF et Croix-Rouge ont volé en éclat à coup de pierre ou de gourdin. Des soignants ont été retenus en otage une heure, parfois plus, comme le docteur Keita – coordinateur Croix-Rouge de la Guinée Forestière que nous avons suivi en août dernier, à Lomé. En septembre, c’est le nouveau Préfet de Macenta qui sera lui aussi séquestré. C’est une région de Guinée historiquement rebelle et résistante à l’autorité. Ces saccages de véhicules et ces délits de séquestration restent à ce jour impunis. Aucune enquête n’a été diligentée.
L’ACCUEIL AVAIT POURTANT ÉTÉ CHALEUREUX
Au premier plan, de gauche à droite, le représentant du bureau préfectoral des sages de N’Zerokoré (rescapé), le Gouverneur (rescapé), le Préfet (rescapé). Au deuxième plan, de gauche à droite, Moise Mamy, le pasteur (décédé), une personne non identifiée et le Dr Ibrahima Fernandez (décédé).
© Marie Ouendenou
A Womey, l’accueil de la délégation est chaleureux. Chacun se présente. Les chefs du village évoquent un problème avec l ‘école, qui manque d’enseignants, et ce bout de route, là-bas, qu’il faudrait faire goudronner. La délégation s’installe à la tribune en plein air. Le Gouverneur prend la parole en français et fait le point sur la situation d’Ebola. Le DPS explique ensuite l’attitude à avoir : ne pas toucher les malades ou alors se laver aussitôt après les mains avec le savon local, riche en soude. Ce geste peut sauver, on en a d’ailleurs amené quelques cartons, de ce savon, comme cadeau. Avant les discours, tout le monde, villageois compris, s’est même lavé les mains avec du chlore. Le DPS poursuit : ne pas enterrer les morts selon la tradition, car les cadavres sont des « bombes à virus ». Tous ces mots sont ensuite traduits en patois local, par un habitant de Womey.
Au bout de deux ou trois minutes de traduction, des huées s’échappent de l’assistance. On entend des « Partez ! » « Il n’y a pas Ebola chez nous ! » Les voix couvrent maintenant celle du traducteur. « Brusquement, raconte Christophe Milimono, patron de Radio Rurale, les villageois présent se sont éloignés de la tribune, chefs et sages du village compris. Puis un groupe d’une centaine de femmes est apparu, toutes se cachaient le nez avec leur main, comme pour se protéger de nous. » Ces femmes murmurent alors toutes ensemble des mots que personne ne comprend, à l’exception de Mariam, jeune journaliste de la Radio Rurale qui parle le patois. « Que fais-tu à ceux qui viennent pour te tuer ? » répètent ces femmes. Aussitôt inquiète, Mariam traduit ces paroles aux autres en disant son inquiétude. On comprendra après leur signification : un mauvais présage, presque un sort. Selon la tradition locale, ces femmes sont « les initiées » de la forêt sacrée. En cas de soulèvement ou de guerre, elles montrent leur soutien au combat des hommes, en se dévêtant avant les hostilités.
LE PASTEUR TUÉ À LA HACHE
« Les femmes, poursuit le directeur de Radio Rurale, se sont éloignées mais aussitôt deux à trois cent hommes de tout âge ont surgit de nulle part, munis de machettes, de haches, de lance-pierre et de gourdins. Ce fut une pluie de cailloux et de pierres qui s’est abattue sur nous. Le représentant local de la Croix-Rouge a été atteint à la tête, il s’évanouit avant d’être conduit vers les voitures par un gendarme. Cela a été l’affolement général, un sauve qui peut vers les véhicules. Tout le monde cherchait à fuir. »
Tous ne réussiront pas à regagner le cortège. Les vitres sont brisées, on a versé de l’essence dans un ou deux véhicules, qui démarrent tant bien que mal dans un désordre insensé. Pendant les discours, des villageois ont obstrué le passage du petit pont. Une barricade d’objets divers, tables, taules, que les chauffeurs franchissent tant bien que mal. Mariam a fui à pied de la tribune en direction de la jungle, où elle restera vingt quatre heures, pétrifiée. Par la vitre arrière de la voiture qu’il a réussi à rejoindre, Christophe Milimono aperçoit le corps inanimé du DPS. Le cortège parcourt quelques kilomètres affolés puis s’arrête pour prévenir la Préfecture. En plus du DPS, manquent à l’appel le Directeur adjoint de l’hôpital de N’Zerekoré, le sous-Préfet, le chef du centre de santé, deux techniciens de Radio Rurale, une journaliste de Radio Liberté et le pasteur.
Un camp militaire a été installé à la sous-préfecture.
© Marie Ouendenou
Celui-ci a supplié les villageois d’arrêter leurs violences en s’interposant. Il a été tué à la hache. Les autres sont ligotés avant de subir le même sort. Hache ou machette. Puis découpés. Deux heures après, les autorités de N’Zérekoré pénètrent dans le village. Il est vide, à part un vieil homme, assis, terrorisé. On pense que les huit personnes manquantes sont séquestrées quelque part. Personne n’imagine l’issue atroce. Mais le vieil homme raconte ce qu’il a vu. Le découpage des corps, leur transport vers l’école, l’ouverture de la fosse septique et le ciment qu’on coulera dessus, puis le tas de pierres pour en dissimuler l’accès.
Depuis le drame, un camp militaire a été installé à la sous-préfecture. L’émoi national a conduit les autorités à enquêter. Elles jurent rechercher les coupables de cet assassinat incompréhensible. Pendant quarante huit heures, aucun personnel de santé ne pénétrait dans les villages. Aucun soin d’Ebola n’était prodigué, alors que le virus, qu’on semblait réussir à combattre à la mi-août en Guinée, dévaste à nouveau la région. Les frontières poreuses entre le Libéria et le Sierra Leone sont traversées quotidiennement par des malades, que l’on n’arrive pas à tous soigner dans ces deux pays. Alors la campagne de sensibilisation a repris en Guinée Forestière. « On ne peut pas arrêter le combat » disent tous ces professionnels bénévoles qui, en plus de vivre avec la menace d’attraper le virus, craignent aujourd’hui pour leur vie.
source parismatch