Philipe Van Damne : « Je n’ai pas de conseils à donner à la classe politique guinéenne » !

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CONAKRY,21 AOUT 2014-Phillipe Van Damne, Chef de la Délégation de l’Union Européenne en Guinée, aux termes de quatre ans de service, quitte ce pays pour le Zimbabwe. Aux termes de son long séjour en Guinée, il a bien voulu accorder un entretien exclusif aux journalistes de Lynx FM, Le Lynx et du site guineeconakry.info.Guineedirect vous livre la première partie de cet entretien.

 

Monsieur Van Damne, vous êtes au terme de votre mission en Guinée. Avec quels sentiments quittez-vous ce pays ? 

Comme toujours, quand on a passé de longues années professionnelles dans un pays, on part avec des sentiments mélangés. Avec un peu de mélancolie pour tous les amis qu’on abandonne et avec un regard orienté vers l’avenir, puisqu’il y de nouveaux défis qui nous attendent.

Qu’est-ce qui vous a le plus marqué durant les quatre ans que vous avez passés en Guinée ?

Il y a tout un tas de choses qui m’ont marqué. Mais comme j’ai eu à le dire à plusieurs reprises, professionnellement parlant, les moments les plus forts, ce sont les élections. J’ai eu le plaisir et le privilège d’accompagner et de suivre les élections aussi bien en 2010 qu’en 2013. Ce qui me touche toujours le plus, ici comme ailleurs d’ailleurs, c’est le courage, la dignité des populations qui se mobilisent massivement pour aller voter et exprimer leur droit citoyen de vote, qui le font dans le calme, mais avec la fermeté des gens qui croient à la démocratie. Pour moi, cela représente toujours des moments très forts.

Au moment où vous-vous apprêtez à quitter la Guinée, quel souvenir gardez-vous du pays et quelle image voudriez-vous que les Guinéens retiennent de vous ?

Là, c’est une double question ! Ce que je garderai comme souvenir, comme je le disais, c’est un pays extraordinaire avec des gens charmants. Oui, j’ai des sentiments effectivement très mélangés. Parce qu’on quitte au moment où nous avons fait beaucoup d’avancées dans la transition démocratique. Mais il est clair que la consolidation de la démocratie n’est pas achevée. Une démocratie, de toute manière et partout dans le monde, y compris chez nous (en Europe, NDLR), est une œuvre évolutive, jamais achevée. Une vraie transition démocratique ne se teste qu’au bout d’un certain nombre de cycles électoraux qui permettent de voir effectivement comment l’alternance démocratique se met en place ? Comment les rapports évoluent ? Comment une majorité respecte une minorité ? Comment une minorité définit ses rapports avec une majorité ? Donc, tout cela relève d’un processus qui demande d’être approfondi et muri. Il est clair que l’année prochaine, nous avons des échéances importantes dans ce pays-ci, qui vont aider à tester la maturité de la démocratie guinéenne.

Alors, pour ce qui est du second volet de la question, à savoir ce que j’aimerais que les gens retiennent de moi, je l’ai également dit à plusieurs reprises. Je tiens beaucoup à mon intégrité personnelle et intellectuelle. J’espère que les gens retiendront de moi, que j’ai suivi une ligne de conduite qui, certes n’est pas sans failles, mais avait l’ambition d’être juste, objective et dans le respect de la souveraineté nationale et de l’intérêt du pays. J’espère que cette attitude-là était une attitude qui permettait d’incarner les valeurs sur lesquelles l’Europe s’est construite.

Au moment où vous-vous apprêtez à quitter la Guinée, la CENI vient de lancer l’appel d’offre visant à recruter un nouvel opérateur en charge de la révision des listes électorales, dans l’optique des élections présidentielles prochaines. Quelles sont vos appréciations ? Peut-on y voir un pas allant dans le sens de la résolution de la crise politique guinéenne ?

Il est clair qu’il y a eu un accord politique, le 3 juillet 2013, autour duquel tout le monde a adhéré, y compris la communauté internationale. Cet accord politique-tous les acteurs l’ont rappelé, y compris lors des discussions politiques au mois de juillet dernier -qu’ils voulaient le mettre en œuvre. Donc, effectivement, je pense que le lancement de cet appel d’offre est une première étape dans le démarrage d’un processus qui doit nous mener vers des élections présidentielles inclusives en 2015. Mais au-delà de l’appel d’offre lui-même, pour retenir le consultant qui devrait élaborer le cahier de charge pour la révision des listes électorales, il reste bien sûr que l’esprit de l’accord du 3 juillet 2013 et des discussions de juillet, c’est qu’effectivement, l’exercice se fasse en partenariat avec les partis politiques concernés et que la qualité du travail qui va être fait soit évaluée de façon transparente et ouverte à l’ensemble des parties prenantes.

Parlons maintenant des relations entre la Guinée et l’Union européenne. Peut-on, partant du fait que la Guinée ait obtenu le 10ème FED et que le 11ème soit programmé, dire que la Guinée est désormais « un bon élève » aux yeux de la communauté internationale ?

Je ne pense pas que la communauté internationale raisonne en termes de bon et de mauvais élève. Nous avons des relations qui ont parfois été compliquées. Vous savez que les relations de l’Union européenne avec les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, reposent sur les accords de Cotonou, qui stipulent un certain nombre de principes qui doivent régir ces relations. On a en particulier les principes définis à l’article 8 de ces accords, qui rappelle que ce partenariat repose sur les principes de la démocratie, le respect des droits de l’homme, et la consolidation de l’Etat de droit. S’il y a une violation grave de ces principes-là, ça complique le plein épanouissement de ce partenariat. Or, vous savez qu’il y a eu un coup d’Etat après la mort du président Lansana Conté, qui a conduit à la prise d’un certain de mesures appropriées.

Dans la mesure où l’ordre constitutionnel a été rétabli  avec les élections présidentielle de 2010 et législative de 2013, nous pouvons effectivement parler d’une normalisation des relations politiques. Et donc également normalisation des relations globales de l’Union européenne avec la Guinée, y compris bien entendu, dans le domaine de la coopération au développement.

A priori, la Transition guinéenne a pris fin avec les élections législatives. Mais il y en qui pensent tout de même qu’il y a comme un goût d’inachevé. Partagez-vous ce point de vue ?

C’est ce que je disais tout à l’heure. Une démocratie n’est jamais achevée. Donc, toute démocratie doit s’approfondir et s’ajuster au monde environnant. Il en découle que bien présomptueux seraient ceux qui clament que la situation ne doit plus évoluer. Le concept de Transition est un concept sémantique autour duquel on peut avoir des débats éternels qui, à mon humble avis, ne sont pas pertinents. Ce qui est important, c’est de voir dans quel sens on évolue. Est-ce qu’on évolue dans un sens de l’approfondissement démocratique ? Est-ce qu’on évolue vers l’apaisement politique ? Est-ce qu’on évolue vers la réconciliation nationale ? Ce sont les tendances lourdes d’une société qui sont importantes, bien plus qu’une évaluation toujours subjective d’une situation donnée.

En dépit de la tenue des élections présidentielle et législative, la crise politique guinéenne demeure. L’opposition et le pouvoir ne parviennent toujours pas à surmonter leurs divergences. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

Ça m’inspire beaucoup du regret. Parce qu’effectivement, il y a un climat de suspicion et de méfiance qui s’est instauré dans ce pays-ci, de longue date. On ne réussit pas encore à abattre ce mur de méfiance pour arriver à un dialogue sincère entre les différentes parties prenantes de la classe politique guinéenne. Nous avons essayé, à plusieurs reprises, d’accompagner le processus et à instaurer des actes de confiance. Mais ici, comme ailleurs, les choses sont difficiles. Chacun a son vécu, ses traumatismes et son histoire. La reconstruction de l’Europe après la seconde guerre mondiale n’a pas été facile, non plus. Si l’on veut arriver à la paix et à la prospérité, il faut trouver les moyens de dialoguer et, conséquemment, de restaurer la confiance entre les gens. Et c’est une dynamique dans les deux sens. Parler et dialoguer aident à enlever les barrières de suspicion.  Et inversement, les actes qui se posent et qui contribuent à diminuer la méfiance, stimulent à leur tour, la dynamique du dialogue. Il n’y a jamais eu une crise dans le monde qui ait été résolue autrement que par le dialogue. C’est la seule voie durable de sortie d’une crise. Donc, il faut continuer à parler et à donner une chance, de temps en temps, à la parole donnée et aux signes de confiance qu’on essaie de se donner.

Dans le cas guinéen cependant, le problème porte davantage sur l’application des résultats du dialogue que sur le dialogue lui-même. Qu’en pensez-vous ?

Le respect de la parole fait bien sûr partie de la création d’un contexte de confiance. Nulle part dans le monde, non plus, on arrive à des accords qui englobent tout. On est plutôt dans des processus qui sont graduels. On arrive à un certain nombre d’accords qu’on met en œuvre. Ensuite, on se rend compte que tous les problèmes n’ont pas été résolus et qu’il reste des choses à clarifier. Et on continue le dialogue. On est donc dans un processus de dialogue continu. C’est pourquoi je pense que la tenue des élections législatives est très importante. Parce que l’Assemblée nationale, c’est la plateforme où la démocratie s’apprend, bien sûr, en plénière, mais aussi dans les couloirs d’une Assemblée nationale. Là où on apprend à se parler et à se côtoyer. En parlant et en se côtoyant, on brise les fossés qui se sont creusés par le passé. On apprend à connaître les êtres humains, derrière la façade de l’adversaire politique.

Finalement, on se rend compte que tout le monde a les mêmes préoccupations, c’est-à-dire la défense des intérêts supérieurs du peuple de Guinée. Et une fois qu’on a découvert cela, derrière les façades des postures politiques, je pense qu’un dialogue plus constructif peut se mettre en place.

Vous l’avez-vous-même dit. Le climat de suspicion et de méfiance demeure. Alors, dans un tel contexte, comment entrevoyez-vous les élections présidentielles de 2015 et quelles suggestions feriez-vous aux acteurs guinéens pour que les choses se passent avec le moins de casse possible ?

Je n’ai pas à donner de conseils à la classe politique guinéenne. Ce que je constate simplement, c’est qu’il y a eu un accord politique, le 3 juillet 2013. Que toutes les parties prenantes expriment publiquement qu’elles souhaitent mettre en œuvre cet accord. J’entends aussi dire par toutes les parties qu’il y un certain nombre de recommandations qui ont été formulées par les observateurs nationaux et internationaux des élections législatives et qu’il y a même des membres de la CENI qui ont recommandé  des clarifications dans le processus électoral (modifications ou précisions dans le code électoral, réformes en matière d’organisation électorale, réforme de la CENI, etc.). La prise en compte éventuelle de tout cela peut aider à restaurer un climat de confiance. Mais ce qui est essentiel -et je pense que c’est la leçon du passé- c’est qu’on ne peut pas réussir le développement de ce pays, sans un apaisement du climat politique et donc, sans une approche inclusive des élections. Nous savons tous que l’élection présidentielle mène automatiquement à des tensions politiques et celles-ci doivent être gérées dans l’intérêt des populations qui souffrent de la crise socioéconomique et qui souffrent de l’impact d’Ebola.

Mais ne nous faisons aucune illusion. Le moteur de la croissance et de la prospérité, ce sont les investissements. Les investisseurs n’investissent pas dans un climat politique instable, n’investissent pas dans un pays où les tensions sont palpables et où l’exercice de réconciliation ne s’est pas fait. Donc, si vous voulez que l’immense potentiel de ce pays soit effectivement exploité au bénéfice des populations qui sont au chômage, qui cherchent l’emploi et qui cherchent l’espoir, il faut que les investisseurs reviennent. Et pour cela, il faut que la classe politique s’entende pour aller de façon inclusive aux élections.

La classe politique aurait pu s’entendre si, comme le pensent de nombreux observateurs, la communauté internationale qui avait accompagné dans le sens de la signature de l’accord politique du 3 juillet, n’avait pas baissé les bras. Aujourd’hui, avec le recul, vous  avec le sentiment d’avoir réussi ou échoué avec cet accord ?

Je ne pense pas que la communauté internationale ait oui ou non baissé les bras. Là n’est pas la question. La question c’est que les Guinéens doivent se prendre en charge. Ce n’est pas à la communauté internationale de gérer les problèmes et de trouver les solutions à des problèmes guinéo-guinéens. Entre partis politiques qui, j’ose espérer, ont le sens des responsabilités et le sens de l’Etat, on doit pouvoir parler entre soi. Il y a une plateforme qui existe pour cela, à travers l’Assemblée nationale. Il y a d’autres cadres de concertation qui ont été évoqués lors des discussions du mois de juillet 2014, pour donner suite à l’accord du 3 juillet 2013. Donc, je ne vois pas pourquoi, à chaque fois, on fait référence et on interpelle la communauté internationale.

On vous interpelle parce que c’est la communauté internationale, dont les Nations unies avec notamment Saïd Djinnit, qui avaient facilité le dialogue qui avait débouché sur l’accord en question. Or, aujourd’hui, on a l’impression qu’il y a un laisser-aller total… ?

Je ne comprends pas comment vous arrivez à cette conclusion. Je répète qu’il y a eu un accord, le 3 juillet 2013. Les parties prenantes à cet accord-là ont été interpellées. Et toutes se sont engagées à respecter les termes de l’accord du 3 juillet. Je sais bien qu’il y a eu quelques frictions au mois de juillet 2014. Mais les divergences ne sont pas sur le fond, sur le principe. Parce que tout le monde est d’accord sur ce principe. Mais sur comment opérationnaliser ce principe dans les détails.

Je pars de l’hypothèse que sur ce petit contentieux portant sur la formulation de la façon d’opérationnaliser cet accord sur papier d’abord, et la pratique ensuite, on peut trouver un accord, sans qu’on ne mobilise la moitié du monde, quand même ! Donc, laissons la classe politique faire son travail. Comme cela a toujours été dit par le passé, la communauté internationale est prête à appuyer tout processus qui sort de ce dialogue. Mais laissons la classe politique guinéenne assumer ses responsabilités, dans un premier temps.

A un moment donné, l’opposition guinéenne vous avait accusé d’être proche du pouvoir et donc, du président Alpha Condé. Vous aviez répondu que ce qui compte pour vous, c’est comment la communauté internationale peut participer au maintien d’un climat apaisé en Guinée. Mais au fond, comment vous étiez-vous senti ?

Je constate que sur ces quatre ans que j’ai passés ici, il y a beaucoup de gens qui m’ont accusé de beaucoup de choses. Comme disait quelqu’un, l’autre jour, quand on pèse les critiques émanant des uns et des autres, j’imagine que les critiques se neutralisent. C’est-à-dire qu’il y a autant de critiques d’un côté que de l’autre. J’ai d’ailleurs l’impression que ça n’a jamais été des critiques portées par la majorité. Ça a toujours été des commentaires de certains individus.

Je laisse à chacun de ces individus la responsabilité de leurs propos. Je ne suis pas là pour commenter les commentaires de la classe politique guinéenne. Je suis là pour observer la classe politique guinéenne, en vue, je le répète, de proposer nos services pour accompagner un processus. Nous avons essayé d’accompagner ce processus. Maintenant, on peut faire de l’histoire. Mais je ne suis pas historien. Je laisse cela aux autres.

Vous partez pour le Zimbabwe de Robert Mugabé, le doyen des chefs d’Etat africains, connu pour sa rhétorique anti-occidentale. Comment comptez-vous vous y prendre ?

Laissez-moi gérer mon avenir professionnel à ma façon. Ceci étant dit, je repends ce que j’ai dit tout à l’heure. Les crises se résolvent par le dialogue. Ma mission, ici comme ailleurs, est effectivement de maintenir le dialogue. Nous sommes entre adultes. Moi je n’ai aucun complexe colonial ou néocolonial. Cela fait trente ans que je fréquente l’Afrique. Parce que j’aime l’Afrique et je ne porte aucun bagage néocolonial ou néo-impérialiste derrière moi. Je pense donc qu’au Zimbabwe, comme n’importe où dans le monde où j’ai travaillé, je parviendrai à trouver des canaux de dialogue.

On a tout de même l’impression que vous êtes en quelque sorte l’homme des situations difficiles. Après la Guinée avec la transition tumultueuse que nous avons connu, vous voilà muté au Zimbabwe où, on le répète, la situation n’est pas des plus reluisantes. Dites-nous, s’il vous était donné de choisir, auriez-vous pris le Zimbabwe ?

Encore une fois, laissez-nous gérer les ressources humaines de l’Union européenne à l’interne. Ce que je peux tout de même vous dire c’est qu’après mon mandat en Guinée, je souhaitais rester sur le continent africain. Et puisque cela faisait un certain temps que je travaillais en Afrique de l’ouest, je souhaitais avoir la possibilité de servir dans une autre partie de l’Afrique. L’Afrique australe, je ne connais pas du tout. Donc, je me réjouis de découvrir l’Afrique australe pour compléter l’éventail d’expérience que j’ai eu en Afrique. Je me réjouis donc des possibilités qui m’ont été offertes.

A suivre…

Propos recueillis par  GuineeConakry.info, Le Lynx et Lynx FM

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