Des enquêtes visant exclusivement des ressortissants du continent, une politique du deux poids deux mesures : les accusations fusent contre la CPI, qui voit sa légitimité mise en doute. Remplit-elle correctement sa mission ? Deux juristes répondent.
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C’est l’histoire d’une cour de justice installée en Europe mais qui ne traite que de l’Afrique, financée par des puissances occidentales qui ne sont autres que les oppresseurs coloniaux d’hier et qui se consacre à juger ces délinquants de luxe que sont les dirigeants africains, alors que les citoyens ordinaires doivent se contenter de leurs propres tribunaux, jugés précaires et éminemment corruptibles. Ainsi peut se résumer le procès intenté à la Cour pénale internationale (CPI) par l’Union africaine, mais aussi par nombre de juristes et d’intellectuels sur le continent.
En annonçant le 7 février l’ouverture d’un examen préliminaire sur les crimes commis en République centrafricaine depuis septembre 2012, la procureure, Fatou Bensouda, a certes fait oeuvre de salut public, mais elle a aussi renforcé un peu plus le tropisme africain reproché à la CPI. Sur les neuf procédures d’enquête initiées par la cour de La Haye depuis son entrée en fonction, il y a plus de onze ans, toutes concernent des dossiers de violations des droits de l’homme en Afrique, le cas de la Centrafrique servant de base à deux affaires distinctes.
La justice au nom du peuple
Longtemps diffus, le malaise est devenu public avec le cas kényan et le maintien des poursuites engagées par la CPI contre Uhuru Kenyatta et William Ruto, alors même que ces derniers venaient d’être élus aux postes de président et vice-président. Toute action judiciaire ne peut en effet se justifier que si elle est faite au nom du peuple et dans son intérêt. Or les électeurs kényans ont dans leur majorité choisi d’élire démocratiquement les deux présumés coupables, en sachant qu’ils étaient sous le coup d’une investigation de la CPI. Dès lors, pourquoi ne pas avoir suspendu la procédure le temps qu’ils accomplissent leurs mandats, en application d’une immunité présidentielle temporaire commune en droit international ?
Sans doute est-ce cette impression d’acharnement qui gêne, tout comme la politique du deux poids deux mesures appliquée dans certains cas (la Côte d’Ivoire par exemple) et plus généralement le déséquilibre géopolitique global des interventions de la Cour. Prompt à saisir la CPI du dossier de pays africains pourtant non parties au statut de Rome, comme le Soudan ou la Libye, le Conseil de sécurité de l’ONU est incapable d’agir de la sorte à propos de la Syrie – dont le régime criminel bénéficie de la protection de la Russie, de la Chine et dans le cas d’espèce des… États-Unis, qui n’ont jamais faite leur cette exigence.
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On peut certes admettre que les systèmes judiciaires africains sont souvent peu fiables et, pour certains d’entre eux, dans l’impossibilité de juger sereinement et équitablement, loin de toute pression, des responsables politiques. Mais la solution consiste-t-elle, comme l’écrit l’avocat camerounais Bernard Muna, ancien procureur adjoint près le Tribunal pénal international pour le Rwanda, à « déporter nos présumés criminels à l’état brut vers les systèmes judiciaires occidentaux plus modernes, afin que ces derniers nous renvoient des verdicts prêts à consommer » ? Ne faudrait-il pas plutôt laisser les juges africains « apprendre par essai et erreur à juger leurs leaders politiques, de la même manière qu’ils jugent les justiciables ordinaires » ?
La CPI, modelée par l’égo de Luis Moreno-Ocampo
Une chose est sûre : jeter le bébé avec l’eau du bain et prôner un retrait massif des États africains de la CPI serait une incontestable régression, tant que cette solution conviendra à des chefs d’État dont l’unique objectif est d’organiser leur propre impunité. Mais Fatou Bensouda, qui a hérité d’une institution largement modelée par l’ego de son prédécesseur, Luis Moreno-Ocampo, serait bien inspirée de penser à réformer les modes d’intervention d’une cour pénale qui pour l’instant n’a d’internationale que le nom. Il est vrai qu’ici comme ailleurs qui paie commande. Or la grande majorité des 34 pays africains membres de la Cour n’a jamais mis un seul dollar pour financer cette lourde machine (Quatre pays assurent à eux seuls près de 50 % du financement de la CPI : le Japon, l’Allemagne, le Royaume-Uni et la France). Tant que perdurera cette situation, l’épée de Damoclès qu’est la CPI restera suspendue au-dessus d’un seul continent : l’Afrique.
Abus de faiblesse ? Le débat est ouvert. Deux juristes, l’ancien procureur fédéral américain Kenneth Roth, directeur exécutif de l’ONG Human Rights Watch depuis vingt ans, et le professeur de droit public Albert Bourgi, spécialiste reconnu des systèmes politiques africains, croisent ici leurs arguments.