Ngugi wa Thiong’o, cet écrivain kényan qui aurait pu décrocher le Nobel de littérature

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Les parieurs en ligne avaient misé gros sur Ngugi wa Thiong’o. Il faut dire que l’engagement de l’auteur kikuyu, notamment en faveur d’une littérature en langues africaines, plaide en sa faveur. Une prochaine fois ?  

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Le 10 octobre, l’Académie suédoise a couronné la Canadienne Alice Munro, 82 ans. Mais jusqu’au dernier moment, un Africain figurait en bonne place parmi les favoris au prix Nobel de littérature 2013. Le Kényan Ngugi wa Thiong’o, 75 ans, a suscité l’émoi chez les bookmakers. Début septembre, le site internet Ladbrokes a même suspendu les paris à la suite d’un soupçon de « fuite », la cote de l’auteur ayant explosé après un important pari provenant d’un joueur… suédois. Quoi qu’il en soit, l’écrivain est depuis plusieurs années cité parmi les nobélisables, et son engagement littéraire – et politique – plaide en sa faveur.

S’il est renommé dans le monde anglo-saxon, Ngugi wa Thiong’o est encore trop peu connu dans l’espace francophone. Et pour cause, sur sa trentaine de romans, pièces de théâtre, recueils de nouvelles, essais et livres pour enfants, seules cinq œuvres sont traduites en français : Et le blé jaillira (Julliard, 1969), Enfant, ne pleure pas (Hatier, 1983), Pétales de sang (Présence africaine, 1985), La Rivière de vie (Présence africaine, 1988) et Décoloniser l’esprit (La Fabrique, 2011). Encore faut-il les trouver en librairie…

La question de la traduction – et plus globalement de la langue – est pourtant au cœur de l’œuvre de l’écrivain, né James Ngugi en 1938 à Kamiriithu (près de Nairobi) quand le pays faisait encore partie de l’Empire britannique. Auteur engagé, marxiste et anti-impérialiste, Ngugi wa Thiong’o est un ardent défenseur de la littérature en langues africaines. Une vision qu’il expose dès 1986 dans Décoloniser l’esprit, son « adieu à l’anglais ». Il y affirme la nécessité de s’affranchir de la langue des colons pour exprimer une expérience, des représentations et une culture authentiquement africaines et toucher un lectorat populaire. « Dans la mesure où elles sont celles du peuple, les langues africaines ne peuvent qu’être ennemies de l’État néocolonial », écrit-il.

Engagement

Et Ngugi wa Thiong’o sait de quoi il parle, lui que cet engagement a mené jusque derrière les barreaux, en 1978, sous Jomo Kenyatta. Sa faute ? Avoir monté une pièce de théâtre en kikuyu, Ngaahika Ndeenda (« Je me marierai quand je voudrai »), susceptible de gagner un public de paysans et d’ouvriers à sa vision critique du pouvoir. Après ça, l’auteur se devait « d’écrire dans la langue qui [lui] avait valu d’être incarcéré », explique-t-il encore dans Décoloniser l’esprit. Dans la cellule 16 de la prison de haute sécurité de Kamiti, il se met donc à la rédaction, sur du papier toilette, du tout premier roman en kikuyu : Caitaani Mutharabaini (« Le diable sur la croix »), qui paraîtra en 1980 aux éditions Heinemann.

En 1982, alors qu’il se trouve à Londres pour lancer la version anglaise du livre, Ngugi wa Thiong’o apprend que le régime de Daniel Arap Moi veut le remettre sous les verrous. Commence alors un long exil, d’abord au Royaume-Uni puis aux États-Unis, où il enseigne aux universités de Yale puis de New York, avant de devenir directeur du Centre international pour l’écriture et la traduction de l’université de Californie. En 1986, l’auteur publie un second roman en kikuyu, Matigari. La même année, en colloque à Harare (Zimbabwe), il échappe à une tentative d’assassinat fomentée par le régime d’Arap Moi.

Après le Nigérian Wole Soyinka (1986), l’Égyptien Naguib Mahfouz (1988), les Sud-Africains Nadine Gordimer (1991) et J.M. Coetzee (2003) et le Franco-Mauricien J.M.G. Le Clézio (2008), Ngugi wa Thiong’o sera-t-il un jour le sixième Africain à recevoir le prix Nobel de littérature ? On l’espère. Cela susciterait à n’en pas douter un regain d’engouement des traducteurs, éditeurs, libraires et lecteurs francophones pour les œuvres du romancier kikuyu. Il serait temps !

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