CONAKRY, 18 SEPTEMBRE 2013-Des centaines de migrants subsahariens sont massés sur les côtes nord du Maroc, espérant un jour passer traverser la Méditerranée pour débarquer en Europe. Précarité, racisme, refoulement à la frontière algérienne : leur quotidien est un enfer. L’un d’entre eux nous a confié son histoire.
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Nous l’appellerons Oumar. Guinéen proche de la quarantaine, il a accepté de témoigner mais ne souhaite pas être reconnu par ses proches. Par honte, parce qu’il considère son épopée comme un échec. Parti en juillet 2012 de Conakry, cet ancien professeur de mathématiques a débarqué au Maroc pour tenter, comme des milliers de clandestins avant lui, de se frayer un chemin vers l' »Eldorado européen ». Entassé dans une embarcation de fortune avec une trentaine de compagnons de galère, il est arrêté par les forces de l’ordre marocaines. Oumar est refoulé à la frontière algérienne mais parvient à regagner Nador. Depuis un an, il survit, difficilement, dans la forêt de Selouane. Voici son témoignage.
- Le départ de Guinée
« J’étais fonctionnaire, professeur de mathématiques au lycée, mais j’ai quitté la Guinée pour des raisons financières. Seul fils de ma famille, je n’arrivais plus à subvenir aux besoins de mes sœurs non-mariées qui ont des enfants, ni à ceux de ma femme et mes deux enfants. Quand tout le monde compte sur toi, c’est difficile de faire face. J’ai donc décidé de tenter ma chance en Europe. »
J’ai payé 1 100 euros pour tenter le passage en Espagne.
- L’arrivée au Maroc
« Un ami m’a aidé à prendre un billet d’avion pour le Maroc. J’ai atterri à l’aéroport de Casablanca le 4 juillet 2012 à 6h du matin. Avant mon départ, mon camarade m’avait aussi mis en contact avec un ‘connexion man’, un Noir qui fait l’intermédiaire entre les migrants et les passeurs marocains. Cet homme m’a emmené à Rabat, où, après discussion, je lui ai remis 1 100 euros pour me rendre en Espagne.
Je suis arrivé à Nador trois jours plus tard, le 7 juillet. Avec d’autres Africains, on a passé un mois dans la forêt, à attendre notre embarcation. C’était dur, on avait du mal à se nourrir. Mais une fois si près du but, tu ne peux plus reculer : certains migrants, fascinés par l’Europe, ont peur que, si tu fais demi-tour, tu les mettes en danger. Alors, ils s’organisent entre eux pour dire : ‘celui qui recule, on le tue et on le fait disparaître dans la forêt’. »
- La traversée
« Le vendredi 10 août, vers 20h, nous avons quitté le campement pour tenter la traversée. Pendant que nous descendions en pleine nuit une grande falaise, très dangereuse, un des passagers est tombé et s’est fracturé le tibia. Une fois arrivés en bas, au bord de la mer, nous avons retrouvé un groupe d’Arabes qui gonflaient un zodiac, dans lequel, une fois les préparatifs terminés, nous sommes montés à trente avec notre capitaine, un Noir… Rien à voir avec le gros bateau solide dans lequel je pensais faire la traversée. Une fois en pleine mer, nous avons été interceptés par la marine marocaine. Un des marins nous a dit que notre embarcation avait été signalée. »
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- Le refoulement à la frontière algérienne
« On nous a ramenés à Nador, séparés en groupe de six, dans différents commissariats de la ville. Le lendemain après-midi, on nous a fait grimper dans un bus en direction d’Oujda. Ils nous ont conduits dans un poste militaire près de la frontière. À 22h, trois soldats nous ont ordonné de les suivre dehors. Ils nous ont montré une ville éclairée, au loin, du côté algérien, et nous ont dit de se diriger dans cette direction. On a marché jusqu’à ce qu’on croise une patrouille algérienne, qui a tiré des rafales en l’air pour nous disperser. Nous nous sommes enfuis dans tous les sens. J’ai réussi à suivre deux anciens qui avaient déjà été refoulés. Nous avons marché toute la nuit, jusqu’à 9h du matin, évitant les routes et les barrages policiers, pour regagner un petit village à côté d’Oujda. Nous sommes ensuite rentrés à Nador avec un « automafia ». Ce sont des Marocains qui transportent les clandestins, pour dix fois plus cher que le tarif normal, parce que les véhicules ordinaires n’acceptent pas de prendre les Noirs d’Oujda à Nador.
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