Daniel Maximin a fréquenté obstinément son aîné martiniquais pendant trente ans. Le romancier et essayiste guadeloupéen célèbre à sa manière le centenaire de sa naissance dans un livre émouvant. Aimé Césaire: frère volcan fait de dialogues et d’échanges d’outre-tombe. Alternant le « tu » et le « il », l’auteur s’adresse au poète disparu en mêlant la chronologie littéraire de son héros aux moments majeurs de sa propre vie.Hommage à un pair, ce pair au tempérament éruptif auprès duquel il a appris à écouter les grondements intérieurs. Et attendre les explosions à venir!
Thank you for reading this post, don't forget to subscribe!C’était la grande hantise de Césaire. Il aimait comparer sa poésie à l’explosion de la montagne Pelée. Il parlait de « poésie peléenne » qui n’est pas effusion mais éruption volcanique. Mais le problème avec la montagne Pelée est que son sommet se rebouche après chaque explosion. Ensuite, il faut parfois attendre longtemps avant qu’une nouvelle explosion ait lieu. On dit alors : « Le volcan s’est suicidé ! » Césaire vivait dans la crainte de ne pas voir la poésie se rejaillir du fond de son volcan intérieur. Alors, il tournait en rond !
C’est lui qui vous a baptisé « frère volcan » ?
Oui, en référence à Soufrière, le plus haut sommet volcanique de mon île natale, la Guadeloupe. A la différence de la montagne Pelée dont l’explosion en 1902 avait fait 35 000 morts, ma Soufrière n’offre aucun danger d’explosion. Partant, elle n’est pas pour moi la métaphore de mes pannes d’inspiration !
Le titre de votre livre suggère que vous aussi vous considérez Césaire comme un frère, plutôt que comme un père ?
Nous, les Caribéens, nous sommes un peuple sans père. Le passé est là, perdu dans l’immensité de l’océan qui nous entoure et qui est notre origine véritable. Le sang de tous les continents coule dans nos veines. Notre quête n’est pas celle des racines, mais celle du fruit. C’est cette réalité que j’ai voulu rappeler aux obsèques de Césaire en 2008, lorsque j’ai pris la parole pour proposer qu’il n’était peut-être pas le père, mais le fils de la Martinique !
Votre livre propose une superposition étonnante d’anecdotes, de conversations et de confidences. Je l’ai lu comme une biographie subjective de Césaire.
Ni biographie, ni témoignage. J’ai voulu faire le récit de nos échanges depuis une soixantaine d’années, en commençant par ma découverte adolescente de Césaire à travers son magistral Cahier du retour au pays natal. C’est en 1965 que j’ai fait sa connaissance en vrai, à Paris, dans la librairie Présence Africaine. Nous nous sommes rapproché au début des années 1980 quand je me suis un peu occupé de la réunion de ses textes poétiques épars en vue de leur publication dans son dernier recueil Moi, Laminaire en 1982.
Depuis les années 1980 jusqu’à sa mort en 2008, vous avez eu de longues conversations avec Aimé Césaire. Que vous disait-il sur son œuvre ?
Il me parlait de l’importance de la poésie pour lui. Même quand il faisait du théâtre, c’est en poète qu’il le faisait. Lors de ces conversations j’ai pu aussi me rendre compte de la place primordiale qu’occupait la nature dans son imaginaire. Sa poésie fourmille de notations précises sur la géographie, la géologie, la forêt. Il connaissait intimement tous les arbres et toute les montagnes de la Martinique. Il semblerait que quand André Breton est venu à la Martinique en 1942 et a fait la connaissance de Césaire un peu par hasard, celui-ci l’a emmené visiter l’arrière-pays. Breton a alors peut-être compris que la dimension surréaliste de la poésie de Césaire avait davantage à voir avec la magie de la forêt antillaise, qu’avec des théories poétiques parisiennes.
Vous avez publié il y a quelques années sous le titre : Le Grand Camouflage (Seuil) les écrits de Suzanne Césaire. Quel rôle a-t-elle joué dans la vie de son mari ?
Un rôle tout à fait majeur ! On sait qu’ils avaient fondé ensemble la revue Tropiques à leur retour à la Martinique pendant la guerre. Elle était aussi le modèle des femmes puissantes qui peuplent le théâtre de Césaire. Je crois que leur divorce, puis la mort précoce de Suzanne en 1966 d’une tumeur au cerveau, ont été les sources de grandes souffrances et d’incompréhensions au sein de la famille Césaire. J’en veux pour preuve la confidence que Césaire m’a faite avant sa mort en 2008. Il m’a dit : « Suzanne et moi on se comprenait, tout ce que je peux te dire, c’est qu’on respirait ensemble. On respirait ensemble ! »
Comment est vécu l’héritage littéraire de Césaire aux Antilles ? Il a été beaucoup contesté, notamment par les adeptes de la « créolité » ?
Je vous ai dit nous sommes un peuple sans père. La littérature ne déroge pas à la règle. Dans ce contexte, la guerre des Anciens et des Modernes n’a pas beaucoup de sens. Elle a d’autant moins de sens que le reproche que les créolistes lui ont fait étaient sans fondement. Césaire a toujours tenu compte de toutes les dimensions de la société antillaise. Dans sa revue Tropiques, il a donné la parole aux conteurs créoles, évoqué nos cousinages avec les Etats-Unis, le monde cubain et latino-américain. Il le faisait déjà dans le Cahier où il s’identifie avec tous les hommes. Il y chante l’Afrique, mais aussi « l’homme-juif, l’homme-cafre, l’homme-hindou-de-Calcutta, l’homme-de-Harlem-qui-ne-vote-pas » et tous les autres.