CONAKRY,25 JUIN 2013- (Jeune Afrique)-En Guinée, c’est quand toutes les portes du dialogue semblent closes que s’ouvre enfin l’issue de secours. On redoutait, pour les premières élections législatives depuis onze ans, un scrutin sous haute tension sur fond de violences et de crispations identitaires, et voici qu’à trois semaines du jour J la très laborieuse négociation entre le pouvoir et l’opposition vient enfin de déboucher sur une éclaircie. Le 9 juin, sous le regard soulagé des médiateurs de la communauté internationale, les deux camps ont élaboré les contours d’un compromis équitable. Les quatre Premiers ministres de l’époque des militaires (Cellou Dalein Diallo, Sidya
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Touré, Lansana Kouyaté, Jean-Marie Doré), opposants plus ou moins résolus au président Alpha Condé, ont ainsi accepté de faire inscrire leurs militants respectifs sur les listes électorales révisées par l’opérateur sud-africain Waymark, levant de facto leur menace de boycottage. Pour sa part, le gouvernement a cédé sur la participation des Guinéens de l’étranger, qui pourront donc voter dans les dix-sept circonscriptions consulaires que compte le pays, ainsi que sur la date du scrutin, initialement fixée au 30 juin, mais qui sera très vraisemblablement reportée de plusieurs semaines.
Exagération
Un climat d’apaisement bienvenu donc, tant est cruciale pour la Guinée la bonne tenue d’une consultation électorale dont dépend une grande partie de l’aide des bailleurs de fonds, ainsi que l’arrivée des investisseurs. Rigueur budgétaire et financière, justice, droits de l’homme, lutte contre la corruption, réforme de l’armée : beaucoup a été fait depuis novembre 2010 et, vus de Conakry, les risques de déstabilisation, voire de guerre civile souvent évoqués à l’étranger apparaissent comme des exagérations délibérées. Le terreau est prêt, donc. Reste à recevoir la semence : les financements extérieurs. Pour Alpha Condé, 75 ans, ancien combattant de la démocratie, devenu chef de l’État par la grâce du premier scrutin présidentiel libre qu’ait connu la Guinée, l’enjeu personnel est de taille : parvenir enfin à sortir son pays de ce qu’il qualifie lui-même de « triple scandale » : scandale politique et moral, mais aussi scandale économique à la mesure de ses immenses potentialités géologiques inexploitées.
L’entretien qui suit a été recueilli au moment où se déroulait le dialogue pouvoir-opposition. On verra qu’il en anticipe les principales conclusions…
Jeune Afrique : Depuis votre accession au pouvoir, pas moins de quatre dates ont été fixées pour la tenue d’élections législatives et aucune n’a été respectée. Cette fois, c’est enfin la bonne ?
Alpha Condé : Soyons clairs. La Commission électorale nationale indépendante, la Ceni, propose une date, mais c’est au président qu’il revient de la fixer. Or je n’avais jusqu’ici jamais signé de décret convoquant les législatives, pour une raison simple : j’estimais que la Ceni, malgré toute sa bonne volonté, n’était pas prête. Cette fois, elle l’est, en principe. Mais j’insiste : juridiquement parlant, les législatives n’ont jamais été repoussées.
La campagne vient de commencer sans la participation de l’opposition. Est-il trop tard pour envisager un report afin que ces élections soient réellement inclusives ?
Tout dépend de la Ceni. Je n’ai pas le fétichisme des dates. Si j’ai pris la décision de signer le décret pour le 30 juin, c’est parce qu’en mon âme et conscience j’ai estimé que les conditions de transparence et de sécurisation du scrutin étaient réunies. Maintenant, si la Ceni juge que le calendrier doit être légèrement modifié, afin de résoudre un problème technique de dernière minute ou pour inclure une ou des listes de candidats supplémentaires, c’est à elle de se prononcer. Mon souhait n’a pas changé : je veux que tout le monde participe aux législatives. Mais je ne peux pas amener à l’abreuvoir celui qui refuse, à tort, de boire.
Pourquoi à tort ?
Boycotter est souvent une erreur. Alassane Ouattara l’a fait en 1995 et il m’a confié qu’il s’était trompé, qu’il ne le referait plus. Macky Sall s’y est refusé l’an dernier, malgré la pression de certains de ses partisans, et il a eu raison. D’autant qu’en Guinée les motifs m’échappent : l’Union européenne, l’ONU, l’Organisation internationale de la francophonie, les chancelleries, tout le monde est d’accord sur le fait que des garanties solides d’équité sont là, incontournables. Du reste, si j’avais voulu passer en force, comme certains le prétendent, je l’aurais fait depuis longtemps. Je n’aurais d’ailleurs pas été le premier : d’autres chefs d’État ont suivi cette voie et ne s’en sont pas trouvés mal. Ils me le disent, et certains me conseillent même de les imiter. Mais je ne mange pas de ce pain-là. Je suis viscéralement un démocrate, même si certains ont tendance à en profiter pour me nuire.
N’est-il pas risqué d’organiser des élections dans un climat tendu, sur fond de manifestations violentes, où les victimes se comptent par dizaines ?
Ces marches dont vous parlez n’ont touché que deux quartiers de Conakry, le reste de la capitale et du pays est calme. Ne soyez donc pas myope. Quand viendra le jour du scrutin, l’État sera là pour faire respecter le droit de chacun à voter.
La frange radicale de l’opposition prétend que vous mobilisez en secret des milices malinkées, les fameux chasseurs traditionnels dozos. Ce à quoi vos partisans rétorquent que des armes circulent dans les rangs de vos adversaires. N’est-ce pas inquiétant ?
Laissez les Dozos là où ils sont : en Haute-Guinée. Personne n’en a vu à Conakry au cours des manifestations. En revanche, oui, la police a trouvé lors de perquisitions dans le quartier de Bambeto des fusils de chasse, des cartouches, des grenades offensives et même une kalachnikov cachée sous un toit. Des individus mal intentionnés venus de Guinée-Bissau ont été arrêtés avec des munitions, et tout le monde sait que certains marcheurs utilisent des frondes et des armes blanches contre les forces de l’ordre. Ils le font de nuit, en général après la fin des manifestations, ce qui est évidemment intolérable dans n’importe quelle démocratie. Mais ne me parlez pas des Dozos ! Si je m’interdis, par principe et parce que la Guinée a changé, de faire sortir l’armée de ses casernes, contrairement à mes prédécesseurs, ce n’est pas pour la remplacer par des milices. Le maintien de l’ordre est l’affaire exclusive de policiers et de gendarmes que nous sommes seulement en train d’équiper de casques et de boucliers – ce qui explique qu’il y a eu des victimes dans leurs rangs – et qui n’ont pas d’armes à feu.
Il y a eu tout de même une cinquantaine de morts parmi les manifestants depuis dix mois. Qui les a tués si ce n’est les forces de l’ordre ?
Je conteste formellement et ce chiffre et cette accusation. Allez dans les hôpitaux interroger les médecins et vous serez surpris : beaucoup de gens ont été tués par des armes blanches, à la suite de jets de pierres ou par balle de calibre 12. Or ni la police ni la gendarmerie n’utilisent des machettes, des frondes ou des fusils de chasse. Toute ma vie, je me suis battu contre la répression sauvage, ce n’est pas à mon âge que je vais m’y livrer. Vous me connaissez mal.
Vous venez de limoger votre ministre chargé de la Sécurité. N’est-ce pas la reconnaissance implicite qu’il avait eu la main trop lourde ?
Non. Le ministre sortant est un administratif venu d’Interpol afin de réformer la police. Je l’ai remplacé par un homme de terrain qui connaît Conakry comme sa poche. Il ne s’agit pas d’une sanction. Parallèlement, j’ai mis en place un pool de juges d’instruction chargé de déterminer l’origine exacte des décès enregistrés. Qui a tiré ? Qui a tué qui ? Il faut être clair : nul n’est au-dessus de la loi, qu’il soit gendarme, policier, militant de la mouvance présidentielle mais aussi de l’opposition. La Guinée depuis trop longtemps est un pays de violence où l’on tue, où l’on lynche pour un rien. Cela doit cesser.
Les morts étaient tous de l’ethnie peule. Pourquoi ?
Faux. Enquêtez : il y a eu des victimes malinkées, soussoues, forestières, peules. Et ne vous laissez pas intoxiquer : quand des grands bandits se font abattre par la brigade anticriminalité lors d’un braquage, ne les confondez pas avec des militants politiques, même si certains utilisent sans pudeur leur origine pour gonfler leurs statistiques.
Parmi les points de discorde entre vous et l’opposition, il y a bien sûr la révision du fichier électoral et cet opérateur, Waymark, qui doit s’en charger. Pourquoi l’avez-vous choisi sans appel d’offres ?
Encore une fois, rétablissons les faits. Ce n’est pas moi qui ai introduit Waymark en juin 2010 puisque je n’étais pas aux affaires, mais le premier président de la Ceni, Ben Sékou Sylla, qui est un proche de l’ancien chef de gouvernement Sidya Touré. Waymark a ensuite participé à la sécurisation informatique du second tour de la présidentielle, et j’ai conservé cet opérateur, qui avait correctement travaillé, pour procéder à l’indispensable révision du fichier en vue des législatives. Sans appel d’offres ? Et alors ? Le choix d’un opérateur dépend du pouvoir en place, regardez ce qui se passe ailleurs. Laurent Gbagbo avait choisi la Sagem sans appel d’offres, et cela n’a pas empêché Ouattara de le battre. Et puis ce contrat est public, tout comme ont été publiés les paiements effectués par la Ceni à Waymark.
Waymark est une société sud-africaine, et il se dit qu’en échange de sa partialité vous vous seriez engagé à favoriser les intérêts miniers de Pretoria en Guinée…
Ridicule ! C’est vrai que les dirigeants de l’ANC sont mes camarades depuis l’époque où je dirigeais la Fédération des étudiants d’Afrique Noire en France [Feanf]. Mais depuis que je suis président, une seule société sud-africaine, celle de Patrice Motsepe [African Rainbow Minerals], qui est une référence dans le domaine minier, a obtenu un permis de recherche. C’est tout récent. Pour le reste, où sont les intérêts sud-africains en Guinée ? Quant à la prétendue partialité de Waymark, il faut croire que l’ONU, l’Organisation internationale de la francophonie et l’Union européenne, qui a imposé avec mon accord sa propre structure de monitoring pour contrôler le travail de cet opérateur, sont sourdes, muettes et aveugles. Aucune ne remet en cause le choix de cette société.
Deuxième point de litige : la Ceni. Vous la contrôleriez en sous-main. Est-ce exact ?
C’est le type même du faux procès. La composition paritaire de la Ceni est inchangée depuis la présidentielle de 2010, et, lorsque l’opposition a exigé que son président soit remplacé, je l’ai accepté. Dire que je contrôle les trois représentants de la société civile au sein de la commission est une insulte à leur égard : la société civile n’est pas un parti politique ! Je ne me mêle pas du fonctionnement de la Ceni.
Les Guinéens de la diaspora ont voté lors de la présidentielle de 2010. Pourquoi seraient-ils exclus du scrutin ?
Les Guinéens de l’extérieur n’ont jamais voté pour des élections législatives, c’est un fait. Mais là encore, je ne fais pas de fixation : si la Ceni estime qu’ils doivent participer cette fois-ci, pourquoi pas ? Elle est indépendante.
Vous savez ce que l’on dit : il s’agit là d’un électorat très largement acquis à l’opposition, particulièrement au parti de Cellou Dalein Diallo, d’où votre réticence…
D’abord, je n’ai pas de réticence. Ensuite, vous faites erreur : tous les Guinéens de l’extérieur ne sont pas avec Cellou. Tous ne sont pas peuls, loin de là, et tous les Peuls ne sont pas des opposants, c’est une caricature.
Un scrutin transparent ne dépend pas que de la Ceni, il repose aussi sur la neutralité de l’administration. Or, là aussi, les reproches ne sont pas rares. Commandements territoriaux, délégations spéciales, cadres de l’Intérieur : vous auriez tout « malinkisé », ou presque. Qu’avez-vous à répondre ?
Que vous vous faites l’écho d’accusations malhonnêtes. Pour les intégristes qui se livrent à ce genre de décompte ethnique, tout ce qui ne porte pas le nom de Diallo, Bah ou Barry est automatiquement malinké. Or il existe dans le Fouta-Djalon des Peuls du nom de Touré, Sylla, Camara ou Tounkara ! Ne vous laissez pas abuser, c’est de la manipulation pure et simple à l’usage de ceux qui ne connaissent pas la sociologie complexe de ce pays. Maintenant, si vous voulez dire par là que le gouvernement nomme les préfets et les sous-préfets de son choix, vous énoncez une évidence. Tous les pays au monde le font, à commencer par la France.
La coalition Arc-en-Ciel qui vous a porté au pouvoir en novembre 2010 a depuis pris du plomb dans l’aile. Lansana Kouyaté et quelques autres vous ont quitté pour rejoindre l’opposition, soit 10 % de l’électorat environ. Pourquoi cette érosion ?
Il n’y a pas d’érosion, mais un phénomène auquel je m’attendais : ma gestion du pays n’allait pas faire que des heureux. Ma politique minière par exemple, avec la remise à plat des contrats et leur négociation, dérange certains de mes anciens alliés. Je suis venu au pouvoir pour que les richesses de la Guinée profitent enfin aux Guinéens. Nous avons les deux tiers des réserves de bauxite connues et le deuxième gisement de fer le plus riche de la planète, nous sommes le château d’eau de l’Afrique de l’Ouest et pourtant rien n’a été fait ici depuis Sékou Touré. La Guinée, au fond, c’est un triple scandale. Scandale géologique, mais aussi scandale moral et politique dont se sont rendus coupables tous ceux qui ont cogéré ce pays sous les régimes militaires. Je le dis et je le répète. Alors, forcément, oui, il y a des mécontents parmi ces derniers.
Lansana Kouyaté vous a-t-il déçu ?
C’est son droit, c’est son choix. Mais c’est aussi un frère et je pense que nous nous retrouverons.
Il y a à votre encontre un ressentiment persistant de la part de la communauté peule, qui estime que vous vous attelez à détruire sa base économique. Le comprenez-vous ?
Écoutez. J’ai dit dès mon accession au pouvoir : pas de favoritisme, pas de monopoles, libre concurrence, libre entreprise. J’ai ajouté, à l’endroit des commerçants et des hommes d’affaires : payez la douane, payez les taxes. C’est limpide ! Quand l’armée commande du riz ou de la farine, elle procède par appel d’offres. Où est le problème ? Bien sûr, cela change des pratiques passées, mais la bonne gouvernance est à ce prix. Je ne discrimine personne, je place tout le monde sur un pied d’égalité. Et le résultat est là : en trois ans, le prix du riz a baissé de 40 %.
N’est-il pas plus facile désormais de dédouaner des marchandises pour un commerçant malinké que pour un commerçant peul ?
Non. D’abord, il y a très peu de Malinkés importateurs de riz, d’huile ou de farine. Ensuite, je ne pratique pas la préférence ethnique, qui est contraire à tout ce pourquoi je me suis battu pendant quarante ans. Je laisse cela à mes adversaires.
Qui visez-vous ?
Ils se reconnaîtront.
La réforme de l’armée guinéenne est-elle achevée ?
Elle se poursuit avec l’aide de l’ONU. Il faut du temps, cinq ans au minimum, car nous venons de très loin. Mais le premier objectif est atteint : l’armée guinéenne est désormais une armée républicaine.
On dit que vos relations avec votre prédécesseur, le général Sékouba Konaté, sont plutôt fraîches. Est-ce exact ?
Le général Konaté occupe, comme vous le savez, de hautes fonctions au sein de l’Union africaine à Addis-Abeba. Je n’ai personnellement aucun problème avec lui. Mais les gens sont libres de dire ce qu’ils veulent…
Les investisseurs attendent les élections législatives pour venir en Guinée, les fonds de l’Union européenne aussi, et vous êtes déjà à mi-mandat…
Tout à fait. Et c’est pour cela que, si quelqu’un a intérêt à ce que les élections se tiennent le plus vite possible, c’est bien moi. A contrario, vous comprendrez que certains de mes adversaires font tout pour les retarder, quitte à pénaliser les Guinéens.
Que dites-vous aux habitants de Conakry qui se plaignent des délestages quotidiens d’électricité ?
La situation en ce domaine s’est beaucoup améliorée par rapport à 2010, mais elle est loin d’être parfaite. Notre problème n’est pas la capacité de production d’électricité, mais la distribution ainsi que la gouvernance d’Électricité de Guinée, notre société nationale. Il y a un vrai déficit de cadres, les ressources humaines sont un casse-tête permanent. Nous recherchons donc un partenaire stratégique en mesure de nous aider à restructurer l’ensemble du secteur énergétique. J’ai songé aux Français d’EDF, mais Henri Proglio nous a fait savoir qu’il ne voulait plus travailler en Afrique. Nous sommes en train de voir ailleurs.
Vous êtes en conflit avec le groupe BSGR du Franco-Israélien Beny Steinmetz à propos de l’attribution d’une partie du gisement de fer de la mine de Simandou. C’est une affaire rocambolesque qui dure depuis deux ans et au sein de laquelle le FBI est intervenu. Pouvez-vous nous en dire plus ?
C’est assez simple. Dès mon arrivée, j’ai établi un nouveau code minier ainsi qu’un comité technique chargé de réévaluer tous les contrats passés dans ce secteur clé. L’objectif, c’est la transparence, et il va donc de soi que, si nous parvenons à prouver qu’un contrat a été obtenu par une société grâce à la corruption, ce contrat sera annulé. Par ailleurs, tout permis de recherche non exploité dans les trois ans qui suivent son attribution doit revenir automatiquement à l’État. Nous avons ainsi récupéré plus de 800 permis que leurs détenteurs étaient parfois allés jouer en Bourse, sans rien faire d’autre. En ce qui concerne BSGR, des enquêtes sont ouvertes aux États-Unis et en Guinée, il y a eu des arrestations, le FBI est venu à Conakry et nous collaborons étroitement. J’attends les résultats.
Dans l’entourage de Steinmetz, on dit ne pas comprendre pourquoi vous voulez évincer le groupe de Guinée.
Je ne cherche à évincer personne, mais les temps ont changé. Je constate simplement que BSGR, qui était en possession d’un permis de recherche à Simandou, l’a revendu aux Brésiliens de Vale en violation du code minier, qui stipule qu’un permis n’est pas transférable. Je constate aussi que les conditions dans lesquelles BSGR a obtenu ce permis donnent lieu à des enquêtes judiciaires. Il faut être clair : la Guinée a besoin des sociétés minières, et il va de soi que ces dernières doivent pouvoir gagner de l’argent, sinon elles ne viendront pas. Mais le peuple guinéen doit aussi en profiter. Nous ne demandons que le juste prix de nos minerais, rien de plus. Et nous sommes des intégristes de la transparence : tous nos contrats miniers sont publiés sur internet.
Rejoignez-vous les autres chefs d’État africains dans leurs critiques à l’encontre de la Cour pénale internationale ?
Je suis contre l’impunité et contre les chefs d’État qui écrasent leur peuple. Cela a été le sens et l’essence de mon combat. Mais je constate comme tout le monde que, curieusement, la CPI ne poursuit que des Africains, comme s’ils étaient plus criminogènes que les autres. Je comprends donc l’agacement de mes pairs. Moi-même, je me pose des questions.
Et lorsque vos adversaires politiques de passage à Paris sont reçus à l’Élysée ou au Quai d’Orsay, cela vous agace aussi ?
Pas du tout. J’ai été opposant. Et j’étais alors reçu aux mêmes adresses.
Dans son rapport 2013, qui vient de paraître et qui porte sur l’année 2012, Amnesty International écrit ceci à propos de la Guinée : « Les forces de sécurité se sont rendues coupables de violations des droits humains, de recours excessif à la force, d’exécutions extrajudiciaires et de torture. » Comment l’ancien militant Alpha Condé accueille-t-il ces accusations ?
Avec étonnement et perplexité. Il n’y a jamais eu d’exécutions extrajudiciaires sous ma présidence. Le droit de manifester est respecté. Je n’ai aucun problème avec les droits de l’homme. Cela dit, la Guinée vient de très loin et je n’ai pas de baguette magique pour changer du jour au lendemain le comportement et la mentalité des forces de l’ordre. J’ai hérité d’un vide, j’ai hérité de décennies d’abus de toutes sortes, d’habitudes détestables. J’ai pris à bras-le-corps et au même moment la réforme de l’armée, la refonte du secteur minier et la lutte contre la corruption. Ce n’est pas facile, les résistances sont multiples, j’y parviendrai. Mais que l’on n’exige pas de moi que la Guinée devienne le Danemark en trois ans.
Vous continuez de tout vérifier, de tout contrôler et finalement de tout décider. Pourquoi cette hyperconcentration du pouvoir ?
Je n’ai pas le choix. J’incarne le changement, et les partisans d’un vrai changement sont encore minoritaires. Quand ils ne le seront plus, alors je pourrai prendre du champ. En attendant, je me bats chaque jour pour sauvegarder les intérêts et les finances de l’État. Quitte à ce que l’on dise dans la rue : « Alpha, c’est un Blanc ! »
La prochaine élection présidentielle, c’est pour 2015, dans un peu plus de deux ans, et vous serez bien sûr candidat à votre succession…
Comme l’on dit, le premier mandat pose les jalons. Mais nous avons déjà fait bien plus que cela : une autre interview ne suffirait pas pour énumérer tout ce que nous avons déjà réalisé.
Jeune Afrique