« Ce décret ne correspond en réalité en rien. Même si vous rentrez dans leur propre jeu, vous vous rendez compte que le délai ne va pas être respecté ». Ou encore « le fil du dialogue a été rompu, pas par notre faute mais par ceux qu’ils ne voulaient pas aller au dialogue ». Ou enfin, « Elhadji- Professeur a une très bonne analyse de la situation politique, mais il ne sait pas comment la gérer après ». Tels sont des extraits poignants du leader de l’Union des forces républicaines (Ufr), Sidya Touré, dans une interview qu’il a accordée à Guinéenews© dans ses locaux administratifs situés à l’immeuble Golfe à Coléah.
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Guinéenews© : Contre toute attente, le président Alpha Condé, a fixé la date des élections législatives le 30 juin prochain en Guinée. Votre réaction ?
Sidya Touré : Notre position est connue à travers notre dernière déclaration. Nous pensons que c’est la meilleure manière de saboter le processus de dialogue en cours. Cette décision a été prise, connaissant l’homme, de manière volontaire. Nous avions des pré-conditions avant d’aller au dialogue : la libération de nos militants, l’arrêt des activités de la CENI, la constitution d’un cadre structuré de dialogue, le choix d’un facilitateur international.
Au terme de notre rencontre avec le Premier ministre, nous pensions que nous étions sur la bonne voie de résoudre les problèmes évoqués ci-hauts parce que le cadre de dialogue avait été conclu, l’idée de faire venir un facilitateur international avait été obtenue, le premier ministre avait écrit à cet effet une lettre au secrétaire général des Nations-Unies.
Malheureusement, la prise d’un décret convoquant le corps électoral, de surcroit un samedi, un jour non ouvrable, est à mon sens une volonté délibérée du Président- Elhadji- Professeur, de saboter le processus de dialogue en cours. On a tiré les conclusions. Par conséquent, nous estimons qu’il ne pouvait plus y avoir de dialogue et que nous allons reprendre nos activités, c’est-à-dire les meetings et les marches pacifiques puisque la constitution nous autorise à le faire.
Guinéenews© : Connaissant l’homme, qu’est-ce qui a motivé Alpha Condé à prendre son décret ?
Sidya Touré : Je l’ai toujours dit, je crois qu’il faut arrêter de tenir des propos juridiques. L’intention d’Alpha était premièrement, si possible de faire en sorte que l’opposition guinéenne ne participe pas aux élections en vue de se tailler une assemblée monocolore avec un seul parti. Deuxièmement, si on doit aller aux élections, il faut qu’on aille à ses conditions à lui. Et ses conditions seraient que, quelle que soit la manière dont les élections se passeraient, qu’il soit celui qui au finish va désigner les députés pour la nouvelle assemblée nationale. Donc, tout ce qui se trame depuis deux ans, c’est simplement pour assouvir cette volonté de ne pas se présenter à un suffrage qui serait donc la décision des électeurs, mais d’aboutir à un processus où la désignation des députés se ferait par le RPG (Rassemblement du Peuple de Guinée, parti actuellement au pouvoir, Ndlr).
Guinéenews© : A votre avis, est-ce que toutes les procédures liées à la fixation de la date d’une élection ont-elles respectées ? Est-ce qu’il n’y a pas eu vice de forme à votre avis ?
Sidya Touré : En réalité, de tout ça n’a pas été respecté. En ce qui nous concerne, nous ne rentrerons pas dans tout ce processus parce que cela présuppose quelque chose que nous réfutons de la manière la plus véhémente, le fait d’accepter que l’opérateur Waymark va être l’opérateur de saisie avec Sabary Technology pour organiser les législatives en Guinée. Nous refusons cela. Mais si nous laissons tout cela de côté, il y a toute une panoplie de décisions qui devaient être prises dans le cadre d’un nouveau chronogramme qui aurait dû être soumis à la plénière de la CENI avant l’annonce du décret présidentiel.
Guinéenews© : Peu après la convocation du corps électoral, la Commission électorale a également démarré la révision des listes électorales. Votre commentaire ?
Sidya Touré : Vous avez appris le lancement de la procédure de révision du corps électoral ou de recensement, parce que ce sont les deux mots qu’on entende, mais c’est une pagaille, une sainte pagaille. Cela a été fait sans que l’opposition ne soit représentée dans les 2 000 CARLE (Commissions de révision des listes électorales, Ndlr) à l’intérieur du pays. Imaginez que si vous voulez faire une révision, il faut une commission administrative des listes électorales. On en a créé deux milles en Guinée. Normalement, la loi prévoit que chaque parti en lice ait le droit d’être représenté dans les CARLE pour permettre de faire l’in ion et la correction du fichier électoral. C’est le minimum !
Mais ils ont tordu le cou à la loi en laissant l’article 16 de côté et dorénavant, ils ont fait de sorte que l’opposition guinéenne désigne un représentant, la mouvance un représentant, mais le préfet, le maire, le sous-préfet et le chef de quartier relevant de l’administration peuvent également nommer les gens. En plus, il faut voter à la majorité simple pour décider si un électeur peut être inscrit ou non. Vous voyez très bien où va la fraude ! Ce sont des mesquineries qui vont à des niveaux insoupçonnés. Mais nous ne souscrirons pas à cela. Et ce décret ne correspond en réalité en rien. Même si vous rentrez dans leur propre jeu, vous vous rendez compte que le délai ne va pas être respecté.
Guinéenews© : Vous menacez de vous retirer du dialogue alors que le facilitateur international est dans nos murs. Ne craignez-vous pas l’ire de la communauté internationale ?
Sidya Touré : J’ai commencé mon propos par cela. En fait, le dialogue devrait se réaliser sur la base des conditionnalités évoquées ci-haut : l’arrêt des opérations de la CENI, la désignation du médiateur, le cadre consensuel et la libération des détenus. Donc, si ces conditions ne sont pas remplies, il ne peut y avoir de dialogue. Le fait de reprendre les révisions par la CENI, le fait d’avoir condamné les manifestants lundi alors qu’on nous a promis tout le contraire, des condamnations fermes de six mois, le fait d’avoir pris un décret convoquant le corps électoral le jour où on désigne un médiateur, ce n’est pas nous qui sabotons le dialogue, mais ceux qui prennent des décisions et qui reviennent sur leurs engagements antérieurs. Ce sont eux qui sont en train de tuer le dialogue.
Guinéenews© : Finalement, vous avez décidé de retirer vos représentants à la CENI, ainsi que dans ses démembrements. Quel sera l’impact escompté à votre avis ?
Sidya Touré : Quand vous ne maitrisez pas ces genres de processus, je ne vois pas que pourriez-vous faire sinon que se retirer ? Normalement, nos représentants auraient dû suspendre leur participation bien plutôt. Souvenez-vous de la décision nocturne du président de la CENI annonçant le précédent chronogramme sans la tenue de la plénière. La décision annonçant le pré- affichage a été prise sans les membres de la CENI. Celle consistant la révision électorale a été prise dans les mêmes conditions. De multiples décisions ont été prises au fur à mesure au niveau de la CENI parce qu’aujourd’hui à l’intérieur de cette institution, vous avez une CENI- bis qui est composée des représentants du RPG et du président de la CENI et qui ignorent totalement le fonctionnement de la plénière de la CENI. Et même les valeurs pour lesquelles ils ont été désignés pour organiser des élections crédibles en Guinée, ils devraient se retirer dans un tel processus. Des décisions sont prises nuitamment, ou après une rencontre avec le président de la république. Ce n’est plus une CENI telle que souhaitée et qui aurait été chargée du processus électoral mais malheureusement un organe dans les mains de l’administration qui le manipule comme il veut. D’ailleurs, il faut les écouter. Les décisions prises récemment l’ont été par le gouvernement au nom de la CENI. C’est vous dire à quel point les choses sont aussi claires.
Guinéenews© : A suivre l’évolution de l’actualité politique, on a l’impression que l’opposition a gagné peu après toutes ses séries de manifestations de rue. Quelle autre arme disposeriez-vous, outre les marches, pour faire prévaloir vos revendications ?
Sidya Touré : Une opposition républicaine n’a pas d’autres armes. Nous n’avons pas d’armée, ni de police, ni de gendarmerie. Nous pouvons entraver le fonctionnement d’un État démocratique pour arriver à un dialogue. Les marches et les meetings, c’est pour sensibiliser l’opinion nationale et internationale sur le fait que la démocratie est en train de reculer grandement en Guinée.
Si ce gouvernement avait des préoccupations comme le développement, le progrès et l’amélioration des conditions de vie des populations, il se pencherait sur la recherche d’un consensus national. Mais ne vous trompez pas ! Ce statu quo arrange bien Elhadji- professeur pour cacher les travers de son régime notamment sur le plan économique et social, je n’arrête pas de le dire.
Il y a quelque chose que je ne supporte pas à Conakry, c’est quand en venant au bureau, je constate l’insalubrité publique. Et je ne vois nulle part personne s’occuper du ramassage des ordures. A cela, il faut ajouter les problèmes d’électricité, de l’eau, du pouvoir d’achat qui baisse chaque jour, des emplois qui ne se créent pas, des usines qui ferment.
On est en train de couvrir tout ça avec un débat qui dure depuis 2 ans, mais c’est volontaire, ne vous trompez pas. Hier nuit, vous êtes témoins de ce qui s’est passé dans les quartiers de Dixinn jusqu’à Matam, pratiquement c’était une guerre retranchée sur les déficits électriques. Ces quartiers sont restés plus de cinq jours sans électricité, les enfants ont incendié les ordures sur la route toute la nuit. Que gagnons-nous dans tout cela ?
Notre vocation en tant qu’opposant, ce n’est pas manifester dans la rue mais d’être à l’assemblée, faire en sorte que les projets présentés, le budget et la loi de finances puissent être discutés avec nous et que notre intervention puisse faire avancer le débat au profit de nos populations, c’est notre vocation. Mais si maintenant on ne vous laisse aucune possibilité, que pourriez-vous faire ?
Guinéenews© : Pensez-vous à la tenue des élections législatives sous ce premier mandat d’Alpha Condé ?
Sidya Touré : Je ne serais pas surpris que ce soit également une possibilité qu’il envisage. Mais je dis encore une fois quand vous avez un gouvernement en manque d’ambition et de programme, et constitué de personnes sans volonté et faisant preuve d’amateurisme et d’incompétence, oui, cela peut être une solution pour ne rien faire. Mais qu’est-ce que la Guinée aurait à gagner à cela ? Parce que toute cette affaire tourne au tour d’une seule chose. Est-ce que nos populations ont à gagner dans ce qui se passe depuis deux ans au tour du problème électoral en Guinée ? Rien du tout ! Celui qui a quelque chose à gagner, c’est celui qui a le pouvoir et qui ne veut pas organiser les législatives qu’il pourrait perdre. N’oubliez pas que ce Monsieur est arrivé avec 18 pour cent au premier tour et aujourd’hui, on veut transformer ce score en 70 à 80 pour cent. Donc, il y a aujourd’hui une véritable rupture par rapport à ce qui devrait être, et la confiance n’existe plus. Nous nous rendons compte qu’on veut piper les élections avant qu’on ne commence. On n’y arrivera jamais mais c’est peut être un choix aussi auquel il a bien réfléchi.
Guinéenews© : En boycottant ces élections, ne feriez-vous pas plaisir à certains qui seront cooptés par le pouvoir, moyennant des espèces sonnantes et trébuchantes ?
Sidya Touré : Cela ne marchera pas cette fois ci, pour la simple raison que pour ces élections, Elhadji- Professeur s’est trompé sérieusement pour une fois.
Guinéenews© : Mais comment cela ?
Sidya Touré : Elhadji- Professeur est quelqu’un qui a une très bonne analyse de la situation politique, mais il ne sait pas comment il faut pour gérer cela après. Sinon, il analyse bien la situation. Il avait pensé au lendemain de son élection que les choses iraient facilement et à partir de là il pourrait avoir un électorat à bon compte parce qu’on dira qu’il a réalisé des bons résultats. Mais c’est un échec lamentable. Le pouvoir d’achat a reculé, des usines ont fermé, des investisseurs sont partis et le taux de croissance a baissé par rapport à l’année 2012. Toutes les compagnies minières nous ont lâchées. Toute notre espérance était fondée sur ces énormes potentialités minières, mais elle a disparu. Donc, ces délections sont devenues des élections à mi-mandat. A mi-mandat veut dire que les populations ont eu le temps d’apprécier ce que vous êtes capables de faire. Avec cet amateurisme et cette incompétence, les populations sont averties aujourd’hui. On dit qu’on distribue de l’argent dans les quartiers. J’ai assisté à cela à Kaloum, cela me fait rire parce que les gens sont extrêmement conscientisés et Dieu merci, on avait eu les radios privées auparavant, ainsi que la presse libre. Tous ces facteurs permettent aujourd’hui d’informer les populations. Mais ne vous en faites pas. Ils donneront autant d’argent qu’ils voudront, si le vote n’est pas transparent, les populations ne voteront pas pour ce gouvernement parce qu’elles ne voient pas son bilan sur le terrain.
Guinéenews© : Qu’avez-vous dit concrètement au facilitateur international, Saïd Djinnit ?
Sidya Touré : Nous lui avons dit que le fil du dialogue a été rompu mais pas par notre faute. Il a été rompu par ceux qu’ils ne voulaient pas aller au dialogue. L’idée que les Nations-Unies soient directement impliquées par le représentant spécial de Ban Ki Moon et que celui-ci soit assisté par d’experts du PNUD en vue de se pencher sur le processus électoral en Guinée était inacceptable pour le pouvoir. Donc, on a entrepris une fuite pour éviter cela. On lui a dit pour renouer le fil du dialogue, on devrait revenir au statu quo, faire en sorte que la CENI arrête ses activités, que les manifestants condamnés soient libérés, que le cadre de dialogue soit maintenu mais également qu’il revienne sur son décret.
Guinéenews© : Connaissant l’homme, pensez-vous que Alpha Condé reviendrait-il sur son décret ?
Sidya Touré : Ce n’est pas du tout important. Est-ce que Alpha Condé veut-il aller au dialogue ? Je dis non. Est-ce que Alpha Condé est-il prêt à organiser des élections transparentes ? Je dis non. Que peut-il faire pour arriver à ses fins ? Je dis qu’il peut faire du n’importe quoi ! Il peut nous trainer comme cela jusqu’en 2015. Je ne vois pas en quoi cela changerait quelque chose dans sa manière de gérer le pays. Je l’ai dit, il a un gouvernement qui n’a pas d’ambition pour ce pays, ni de programme à exécuter. Il n’a aucune perspective. Le seul objectif de ce pouvoir, c’est son maintien dans n’importe quelles conditions possibles. Donc, oui nous pouvons tourner comme cela pendant longtemps. Et ce serait malheureux pour notre pays. Mais de notre côté, nous nous battons pour sortir de cette situation en vue d’arriver à un processus électoral consensuel.
Guinéenews© : Nous sommes au terme de notre entretien, votre message pour Alpha Condé ?
Sidya Touré : Je n’ai aucun message franchement. Mais je pense qu’il doit faire en sorte que les guinéens qui ont pensé que la mise en place d’un régime civil à la place des militaires soit une fierté dans leur existence, qu’ils soient fiers d’être guinéens, qu’ils aient un plus dans l’amélioration de leur conditions de vie et de travail. Malheureusement, nous sommes loin de tout cela. Aujourd’hui, nous sommes dans un blocage total, tant politique, économique que social. Le tissu social est aujourd’hui mal en point. Donc, je lui dirais, je le dis parce que vous me l’avez demandé : ressaisissez-vous !